Le pilote prudent est il en danger ? la part du diable

[b]La part du diable.

Le pilote expérimenté prudent, qui pratique régulièrement sur un site connu dans une aérologie de bord de mer en condition calme du matériel connu et adapté est-il en danger ?
[/b]
Cette question est légitime au regard des statistiques d’accident que j’ai découvert il y a quelques années qui indiquaient que le profil type de l’accidenté était un pilote expérimenté avec une pratique régulière dans des conditions calmes.

Depuis j’ai cherché en vain dans les statistiques et dans les rapports une explication.
Certes en condition calme certain parapentistes ont tendance à rechercher l’excitation dans une prise de risque plus forte, mais moi je ne recherche pas cette excitation, suis-je pour autant exsangue d’un éventuel accident ?

Après 40 ans de sport à risques en tout genre dont dix de parapente je n’ai jamais passé la porte d’un hôpital autrement qu’en tant qu’accompagnant.

Il y a environ cinq ans, grisé par mes progrès de pilotes et alerté par une série d’accidents graves autour de moi j’ai décidé de prendre en main mes marges.

Je me suis mis des curseurs avec une marge confortable en excluant la plupart des vols qui allaient au-delà de ces marges, cela a été d’autant plus facile que ce n’était pas les vols les plus passionnant.

Voilà comment j’ai procédé.

Ce schéma représente le curseur que je me suis fixé par rapport à un risque estimé sur les sites où j’ai de nombreuse heures de pratique.

https://img11.hostingpics.net/pics/823247marge1.png

Il est parfois utile d’aller au-delà de sa zone de confort pour progresser ou pour éviter l’ennui qui est aussi à lui seul un facteur de risque.
J’ai fait en sorte que lorsque je dépasse ce curseur, j’en prenne conscience, je compense par une meilleure vigilance et surtout je me pose la question si cela en vaut la peine.

https://img11.hostingpics.net/thumbs/mini_687679marge2.png

Tant que je ne sous estime pas le risque et que j’ai conscience que je suis au-delà de mes marges fixées, j’estime que je suis dans une phase de risques peu probables et les centaines de vols qui vont suivre sans la moindre alerte vont me conforter dans cette certitude.

Oui mais sauf que …

Après une longue période de mauvais temps, une éclaircie se profile, le vent annoncé semble trop faible pour pouvoir faire de soaring de falaise mais il est bien axé, ça vaut la peine d’essayer, après tout il n’y a pas si longtemps nous étions quelques pilotes à voir réussi à tenir avec un vent à peine plus fort.

Le décollage est une falaise de craie d’une dizaine mètres permettant de rejoindre une partie beaucoup plus haute avec un meilleur rendement.
Le vent est vraiment très faible mais je m’élance galvanisé par au pire une petite marche pour rentrer, je colle au relief des la sortie du déco, avec le manque de vent la voile plonge passe sous le relief, je suis trop près, les suspentes hautes s’accrochent fermement, je tape la falaise, puis les suspentes cassent, il reste 1 ou 2 mètres, je n’ai pas le temps de sortir les jambes je tombe violemment en position assise, bilan vertèbre cassée.

Les statistiques indiqueront , un pilote expérimenté rate son décollage en bord de mer par condition calme sur un site connu.

Que s’est il passé.
à force d’aller au delà de mon curseur même sur des temps très courts et aussi à cause d’une sur-confiance inévitable au court du temps, le curseur c’est insidieusement déplacé.
Oh pas beaucoup à chaque fois, quelques cm plus près ou quelques cm/s plus vite, toujours est il qu’au fil des années il s’est retrouvé loin de son point de départ.

https://img11.hostingpics.net/pics/905041marge3.png

Et fatalement lors d’une prise de risque voulue et malgré ma vigilance l’incident est survenu.

https://img11.hostingpics.net/pics/758107marge4.png

Et c’est qu’une fois à terre que je me suis aperçu que mon indicateur de marge était très éloigné de ce que je m’étais fixé quelques années auparavant.
Si l’accident ne s’était pas produit là il serait intervenu quelques temps plus tard.
Si je n’avais pas pris conscience de ça, j’aurai sûrement dit “normalement ça passe” ou bien “pas de chance”.

Que faut il en retenir.
Avoir conscience qu’insidieusement notre curseur est repoussé par ce que j’appelle ‘la part du diable’, il faut régulièrement remettre les curseurs à jour sans attendre des hypothétiques alertes.
Il faudra sûrement renoncer à des vols qui sont pourtant faisables, mais quiconque à subit la douleur d’un dos cassé ou la perte d’un proche connaît le prix à payer de ces vols rarement fabuleux.

Prendre des curseurs facilement contrôlables comme par exemple une valeur de vitesse sur le GPS, ou bien un repère fixe à ne pas dépasser à la proximité d’un danger. à contrario les marges type “pas trop près du relief” ou “vent pas trop fort” sont trop abstraites.
être vigilant aux signes qui indiquent que le curseur a bougé, remettre périodiquement ses curseurs à jour.
Ne pas donner les miettes au diable.

Salut,

Je trouve ton explication très claire, et je me projette dans pas mal d’aspects dans ton histoire. Je lui trouve une longue portée pédagogique (et les dessins sont tops, bravo!).

Il m’arrive de plus en plus en vol ou au déco de penser à des trucs lus sur ce forum au sujet de la sécurité, sur les méthodes des uns et les retours d’expérience des autres.
Ce qui va sans doute me rester dans un coin de la tête et me rappeler toute l’histoire, je l’espère en temps voulu, c’est ce point là en particulier:

Parce que souvent le jeu n’a aucune chance d’en valoir la chandelle.

:pouce: :pouce:
bonne récupération à toi.

nos marges ne sont elles pas en générale assez constantes ( hors effet de groupe peut être), alors que nos estimations du risques sont complètement à l’ouest?

Oh p… on ne se connaît pas, mais je lis avec intérêt tes interventions depuis très longtemps et j’ai à chaque fois l’impression de m’y lire, même si on n’a pas exactement la même pratique… je suis désolé pour toi et espère que tu récupèreras vite.
Merci pour ton analyse.

merci, grâce à la cimentoplastie je devrais pouvoir remonter dans une voiture d ici 1 mois et demi :trinq:

Merci pour ton témoignage Brandi, et bon rétablissement :trinq:

Intéressante, ta vision des choses.
Pourrais-tu développer/détailler sur les curseurs ?

Salut Brandi, désolé pour ton dos. Merci pour ton témoignage et bravo pour la pédagogie que tu arrives encore à mettre dans ton retour d’accident alors que le souvenirs et le dos doivent encore être douloureux.

Bonne convalescence et au plaisir de se revoir un ee ces jours,

:trinq:

Ou ce que d’autres appellent l’optimisme illusoire

prompt rétablissement.

je cite : le vent est vraiment très faible mais je m’élance galvanisé

Bon le probléme des marges dont tu parles, c’est qu’elles ne sont pas de le viseur du pilote au moment ou tu resent cette excitation .
c’est très problématique car , si je prends un épisode qui m’est arrivé, par exemple , lorsque j’ai fait un atterissage vent de cul en bord de mer, sans casse mais avec un genou qui a pris un gnon, j’étais euphorique au déco.
c’est très génant car a mon avis les lunettes de la galvanisation ou de l’euphorie floutent les warnings (place de sable derriere soi, la distance à la paroi) .
il faut pouvoir reconnaitre cette émotion alors qu’on a les supentes avant dans les mains … car en vol ca peux faire mal.

Coucou Brandi ,

Je te souhaite un rapide rétablissement, la cimentoplastie est formidable, mais t’es quand même tout cassé.

En réalité, tout manichéen que cela puisse paraître, résumer cela à la part du diable revient à un constat d’échec, inéluctable, presque une destinée possible. Cela ne fonctionne en réalité pas comme cela. Tu n’est pas un pilote expérimenté prudent, en tout cas pas ce jour là, tu le reconnais facilement.

Quand tu dis : “galvanisé par au pire une petite marche pour rentrer”, je ne comprends pas ton état d’esprit à ce moment là. Après le mot est peut-être mal choisi. Mais galvanisé, transporté ou surexcité, sont des mots qui ne sont pas liés à la technique mais au facteur humain.

Quand tu dis : “avec le manque de vent, la voile plonge sous le relief”. C’est pas le manque de vent qui fait plonger la voile sous le relief, c’est savoir décollé dans ces conditions.

Quand tu dis : " les suspentes hautes s’accrochent fermement, je tape la falaise, puis les suspentes cassent,", je suis sûr que la falaise ne s’est pas jetée sur toi, et ce n’est pas le comportement d’un pilote prudent de raser une falaise jusqu’à aller toucher la falaise et chuter lourdement. Le pilote prudent prend des marges, tu n’en a pris aucune !

Attention Brandi, je suis désolé de ce qui vient de t’arriver et je suis sincère, autant que pour les 25 morts déplorés cette année en France. C’est juste que lorsque l’on parle d’accident, on tente toujours par des mots, une attitude, à échapper à sa responsabilité ou à ses propres peurs, et cela, c’est la cas de tout le monde.

Après, concernant les analyses d’accident souvent proposées, ce ne sont JAMAIS des analyses mais juste des constats. On ne peut par exemple tirer le moindre enseignement d’un accident sans connaître le cursus de formation d’un pilote.

Jc

SaLut JC

Arg je ne me suis pas fait comprendre, le constat inéluctable que j’en déduis c’est que malgré la prudence affichée nos marges se réduises, on peut limiter cela en prenant des curseurs objectifs et en mettant ses marges à jour.

à ce moment là de mon explication, je ne voulais pas parler technique mais bien des facteurs humains, ces même facteurs qui font partie de la chaine de cause.

Exact, conscient de prendre un risque, mais pas à ce niveau là (voir mes schémas), dans mes vols précédents mes repères visuels se sont habitués à frôler la falaise sans que je me rende compte que ce n’était plus la limite que je m’étais fixé.
Quand tu dis “Le pilote prudent prend des marges” moi je rajoute “Le pilote prudent prend conscience que son estimation des marges prises peut être faussée par des habitudes”

J’essaye par mon vécu d’apporter autre chose qu’un constat, mais ça reste personnel et lié à ma pratique, cela dit je pense que ça peut expliquer en partie pourquoi des pilotes qui volent depuis des années sans alerte finissent par s’en prendre une.

Vu l’exemple relaté, pourquoi se passer de ce vol ? Vent de face, déco et atterro ‘‘tranquille’’ si j’ai bien compris.
Une partie du problème ne viendrait elle pas surtout de la vision de ce qu’est un ‘‘vol réussi’’, même un ‘‘plouf bien réalisé’’ c’est quand même déjà une sacré performance. Si un-e profane te vois décoller et poser en bas ce même jour, il ou elle va probablement se dire, INCROYABLE, quel courage ! , qu’elle dextérité !.. Et malheureusement, nous (’‘la communauté’’), dévalorise, ce qui est pour le commun un exploit.
Perso j’adore ‘‘me regarder’’ lors de plouf assurés (vol le matin, en hiver, descente de montagne,…) ‘‘me voir’’ assis en plein ciel m’apparaît toujours comme quelque chose de fabuleux.

Bonjour Brandi,

Tout d’abord merci pour ce post, et bon rétablissement.

Nous avions communiqué il y a quelques années alors que je débutais l’activité. Tu m’avais même envoyé un message privé pour m’inciter à la prudence.
Je considère que toute incitation à la prudence n’est jamais vaine.
Un tel témoignage, s’il permet ne serait-ce qu’à 1 seul pilote d’éviter le vol de trop… vaut largement la “peine” d’être publié.

Bien que très souvent en l’air, il m’arrive aussi de renoncer, peut-être grâce à de telles lectures, ou encore à des témoignages directs, qui nous aident à réfléchir quand l’envie de voler nous fait oublier l’essentiel.

A bientôt dans les airs :slight_smile:

Marc

Est-ce que l’un des facteurs de ce glissement de curseur ne serait pas la pratique régulière?

En effet, en tant que pilote très irrégulier, j’ai toujours une remise à zéro de mon curseur marge. Par conre, lors d’un mois de pratique régulière, je sens bien que mon curseur se déplace. C’est normal car je prend confiance et je progresse, mais si je n’avais pas d’interuption je sens bien que je pourrais vite me retrouver régulièrement dans le rouge. Pourtant je me considère pilote prudent.

La pratique régulière est bien entendu bénéfique, mais la pratique irrégulière à son avantage aussi :wink:

C’est pour cela que je considère “étérnel débutant”

"Quand tu dis : “avec le manque de vent, la voile plonge sous le relief”. C’est pas le manque de vent qui fait plonger la voile sous le relief, c’est savoir décollé dans ces conditions. "
Oui, avec plus de vitessee. Donc bien un manque de vent relatif.

Merci pour ce témoignage Brandi et bon rétablissement.
Ce que tu expliques très bien est souvent ce qui est arrivé aux pilotes confirmés que je connais et qui se sont fait mal. Excès de confiance lors d’une manœuvre exécutée des dizaines et des dizaines de fois à la perfection. Sauf qu’un jour il y a un petit détail de différent. Et quand bien même on en a conscience au départ, les automatismes et la confiance font que la marge n’est plus la même…
Pas simple tout ça :grat:

Vu l’exemple relaté, pourquoi se passer de ce vol ? Vent de face, déco et atterro ‘‘tranquille’’ si j’ai bien compris.
Une partie du problème ne viendrait elle pas surtout de la vision de ce qu’est un ‘‘vol réussi’’, même un ‘‘plouf bien réalisé’’ c’est quand même déjà une sacré performance. Si un-e profane te vois décoller et poser en bas ce même jour, il ou elle va probablement se dire, INCROYABLE, quel courage ! , qu’elle dextérité !.. Et malheureusement, nous (’‘la communauté’’), dévalorise, ce qui est pour le commun un exploit.
Perso j’adore ‘‘me regarder’’ lors de plouf assurés (vol le matin, en hiver, descente de montagne,…) ‘‘me voir’’ assis en plein ciel m’apparaît toujours comme quelque chose de fabuleux.
[/quote]
:pouce:
bien d’accord le pb ne semble pas les conditions insuffisantes mais la volonté de prolonger à tout prix (voire de sauver) un plouf inéluctable en frôlant la paroi

Courage pour la consolidation

question subsidiaire : tu étais en cocon? si oui penses tu que la 1/2 seconde perdue a compté dans la gravité de ton accident?

Bonjour Brandi,

Tout d’abord, tous mes vœux de prompt rétablissement.

Merci de nous avoir raconté ta mésaventure.

Un autre mécanisme inconscient aurait-il également pu jouer?

Je pense à nos automatismes d’évaluation :
Vent fort => Attention! facteur de risque => J’augmente mes marges au relief

Ce qui peut finir par se transformer en :
Vent faible => OK peu de risque=> Je peux réduire mes marges

Tu as malheureusement fait l’expérience l’érosion de tes marges dans une situation faussement banale où un des facteurs de risque communément admis virait au vert. Ce n’est peut-être pas anodin.

@ bientôt dans les airs j’espère.

FK

Une bonne remarque de Finlard.
La recurrence d’une prise de risque qui amene a une recompense positive (surpassement de soi, gonflement de l’ego, decharge d’adrenaline, etc.) et n’amenant a aucune consequence negative (frayeur, crash, etc.) devient une habitude. et Hop, le curseur se deplace vers la droite :slight_smile:
C’est le principe du renforcement en psychologie.
Voir wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Renforcement

C’est toute l’ironie de notre passion: Theoriquement, pour faire en sorte que notre curseur ne bouge pas dans le temps, il faudrait voler en etat de manque de confiance. Il faudrait avoir en tete en permanence des images negatives de ce qui pourrait se passer de pire pour contrebalancer les images positives.
Mais le cerveau n’aime pas cela.
La presence d’images negatives perturbe la production d’images positives.
Et comme nous sommes dopes aux images positives (et oui, pauvre de nous, petits drogués), nous “forcons” le changement de nos perceptions negatives en perceptions positives.

  • Oui, ca fait peur ce deco, mais rappelle toi, tu l’as deja fais dans le passe, et tu avais eu un super vol, tu es donc capable de le faire encore
  • Oh je ne devrais pas boire cette biere en plus, mais bon, j’ai deja conduis avec 3 bieres dans le sang, en roulant lentement, je ne courre aucun risque
  • C’est vrai que c’est pas bon pour la sante de fumer, mais bon, de toute facon l’esperance de vie augmente, et l’on peut etre soigne de tout a present. De toute facon je fais du sport regulierement donc c’est pas si pire.

Les images de nos Charles C, Honorin H, etc. filant a fond de barreau sous des guns dans les petards de printemps n’ameliorant pas la situation.
Comment laisser de la place au doute et a la peur dans cette histoire?

Tout est fait pour que notre curseur bouge avec la pratique. Quelqu’un sait comment stopper cette tendance? a moins de se regarder des videos de crash /visiter a l’hopital un pote accidenté juste avant de decoller bien sur.

Connaissant Brandi, je peux affirmer qu’il ne peut pas être question de manque de technicité ou de connaissances/analyses et pas plus d’expérience. Reste je crois effectivement “l’optimisme illusoire” cité par Gilles.
Il ne me semble pas non plus qu’une pratique régulière puisse être pensé comme “cause” et je suis convaincu qu’une pratique régulière sera toujours plus favorable à la sécurité qu’une pratique irrégulière.
Maintenant oui, un phénomène d’accoutumance peut nous mettre dans cet état d’optimisme illusoire ou l’illusion peut par exemple (peut-être le cas pour Brandi ici ?) nous donner l’illusion d’avoir une maîtrise totale des événements, sans doute plus encore dans des situations jugées anodines, jusqu’au moment ou la réalité nous rappelle à l’ordre et nous explique que d’avoir abordé la situation en mode trop cool, trop “je maîtrise facile”, se paye parfois douloureusement, aussi qu’il n’y a pas de situation anodine quand on parle de vol-libre.

Pour autant il ne me semble pas qu’il faille voler en état de “manque de confiance” pour avoir une vigilance accrue ou à minima suffisante.

L’image des curseurs de marges à Brandi est très parlante de comment on les déplace plus ou moins (in)consciemment en fonction de nos “envies” alors qu’en fait il faudrait seulement et uniquement adapter nos envies aux marges que l’on s’est fixé.

C’est sur nos états d’esprits qu’il faut que l’on apprenne à agir, à éduquer/former, pour dissocier par exemple aussi “confiance” et “vigikance”. Avoir l’une ne doit pas nous priver de lautre et idem pour ce qui est de nos envies et marges.