Pour finir, réponse de ma part à ce courrier :
« Bonjour,
Noël Bertrand s’est effectivement manifesté auprès de moi, j’ai lu attentivement les échanges de mail et je souhaitais qu’on puisse en parler.
Avant d’aller plus loin, je tiens à dire que je compatis sincèrement à ta douleur et celle de ta famille. Evidemment ça ne me coûte rien de dire cela, mais pour avoir déjà accompagné un ami proche qui s’est retrouvé dans un fauteuil suite à un accident de parapente, j’ai une petite idée des épreuves que vous traversez. Nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir.
A l’heure où j’ai écrit mon texte je ne connaissais pas l’étendue de tes blessures. Lorsque j’ai pris connaissance des bruits de l’aterro à Planfait, j’avoue que je me suis dit « merde, quel con », même si cela ne change rien à l’affaire, ni de ton point de vue, ni du mien. Si je n’ai pas cherché à te contacter où à me renseigner plus avant c’est précisément, comme Noël l’a compris, parce que mon but n’était pas de te présenter comme un sombre crétin mais de communiquer sur un thème général (d’où le « coup de gueule » cité en sous-titre). Je précise aussi que je n’ai aucune action chez Parapente+ ; je ne connais pas Noël Bertrand ni même le son de sa voix et je serai bien incapable de le reconnaître dans la rue.
Crois-moi si tu veux, et je te demande de me croire, mais cet accident m’a véritablement choqué. Je me suis repassé la scène des tonnes de fois dans la période qui a suivi :
Je suis en train de vider les affaires de ma sellette et je te vois arriver en approche avec une série de virage très appuyés qui ressemblent à des wings, que je traduis en « approche à la banzaï ». Lorsque tu te remets face à la piste la voile cabre et part ensuite en abattée. Je te vois taper le sol, tu fais mine de te relever et tu pousses un cri. Malaise sur l’aterro, pendant une seconde personne n’ose bouger. On se regarde avec un autre pilote qui est à ma droite et on court vers toi. Là je me dis que ça risque d’être très vilain. En général je ne suis pas très courageux devant un accident mais le hasard fait que c’est moi le plus proche. J’arrive le premier sur toi, je te dis « bouge pas, bouge pas » pendant que j’essaie de défaire l’un tes élévateurs d’un maillon, et c’est seulement à ce moment-là que je vois ton fils. Pris de stupeur je ne sais plus trop quoi faire, mais comme il veut se relever on essaie de le maintenir en place avec l’autre pilote, sans trop le brusquer. Ensuite arrivent les moniteurs de l’école, accompagnés des inévitables curieux, comme ils sont plus compétents on les laisse faire et on essaie de plier ta voile tant bien que mal, car l’autre élévateur est encore coincé sous ton corps. Lorsqu’on réalise qu’il s’agit d’une Gin Rebel, on se regarde, interloqués, et on a la même réflexion : « mais qu’est-ce qu’il foutait avec ça ? ». Ensuite on s’est dépêché d’aller dire aux autres pilotes de plier rapidement car il était question d’appeler l’hélico, ce qui finalement ne sera pas le cas.
Après m’être remis de cet évènement je me suis simplement dit qu’il fallait que quelqu’un dise quelque chose, pour essayer de faire en sorte que cela ne se reproduise plus. C’est ce que j’ai tenté de faire avec ce communiqué. Entre ça et siroter ma bière à la terrasse de Planf et refaire le crash avec les « je-sais-tout-j’ai-tout-vu» de service (dont beaucoup ne se sont pas privés de te charger), j’ai choisi la première solution. Néanmoins j’admets totalement que j’aurais du relire mon texte 20 fois au lieu de 10 fois et enlever tout élément permettant de te pointer du doigt car effectivement cela n’ajoutait rien au débat et ce n’était pas mon but.
Je t’assure qu’il n’y pas le moindre cynisme dans ma démarche. Il m’est impossible de t’accabler car je sais très bien que moi aussi, en 22 ans de parapente, il m’est arrivé de faire des grosses conneries qui auraient pu me coûter tout aussi cher, et qu’il est quasi certain que cela m’arrivera encore un jour où l’autre. En ce sens, ce texte était autant un rappel à moi-même qu’aux autres et le récit de ton vol est très instructif à cet égard. Erreur de prévol, ou de matériel ? On ne va pas refaire le match, mais tu sais comme moi que la sécurité procède de l’adéquation entre trois facteurs : les conditions, le pilote, et l’équipement. En voyant ton parcours, il est clair que tu es un pilote très expérimenté, aucun problème là-dessus. Sur les conditions c’était déjà discutable (cf. le communiqué sécurité FFVL dont je fais mention) mais on peut admettre qu’un pilote chevronné comme toi pouvait voler en sécurité. Par contre sur le matériel il n’y a pas photo, et c’est en majorité ce facteur que je vise quand je dis que l’accident était « totalement évitable » car tu n’aurais pas pu commettre cette erreur avec un vrai biplace. En la matière je ne peux que maintenir et assumer ce que j’ai écrit. Le fait que tu aies peut-être déjà volé des dizaines de fois dans cette configuration n’y fait rien, j’imagine que ton assureur a du t’en dire des nouvelles.
J’aimerais pouvoir te dire que si je t’avais vu au décollage je serais allé discuter avec toi et ton épouse pour vous demander si ce vol était vraiment une bonne idée. Mais bien sûr je ne l’aurais pas fait, je serais resté à me préparer dans mon coin et je t’aurai laissé partir en disant « regardez-moi ça » comme un gros malin. Eh bien désormais je ramènerai ma fraise, quitte à passer pour l’emmerdeur de service, mais s’il y a une toute petite chance pour que ça évite un autre accident alors il faut le faire. C’est tout le but de mon communiqué à Parapente+ ; enfoncer encore et toujours la même porte ouverte, se battre contre les moulins à vent, car cet accident et beaucoup d’autres montrent qu’on n’en fera jamais assez. Je sais gré à Noël Bertrand de l’avoir compris et de m’avoir publié dans cet esprit. Mon président de club a eu la même réaction lorsque je lui ai fait passer le texte. Ce travail de prévoyance pourrait être effectué par un régulateur, mais il n’y en a pas à Planfait et c’est peut-être là une réflexion à mener suite à ton accident pour qu’il ne reste pas sans suites positives. Je compte lancer le sujet à une prochaine réunion de notre comité.
Quand à mon commentaire sur ton épouse, je ne me permettrais pas de la traiter d’irresponsable comme tu as pu le croire en me lisant. J’imagine bien qu’elle doit être comme toutes les autres mamans, mais c’est une véritable interrogation de ma part : à quoi bon laisser un enfant si jeune voler dans ces conditions ? Comme toi je suis sur le cul quand je vois des voiles voler en conditions limites, et je ressens la même chose quand je vois des gens voler sans casque ou en bi avec des gosses, voire en triplace comme on en voit parfois. Si je me pose cette question c’est parce que pour ma part je refuse catégoriquement de faire voler des mineurs en biplace. Là encore je ne donne de leçons de morale à personne, ce choix personnel est tout simplement la seule solution que j’ai trouvée pour ne jamais me retrouver responsable d’un crash avec un enfant. Certes, je ne transmettrai le virus du parapente à aucun jeune, mais la récente disparition tragique d’Antoine Montant nous démontre une fois de plus que la précocité ne garantit pas la sécurité. Puisqu’on en est aux enfants, mes commentaires sur ton fils ne relèvent pas de la condescendance à deux balles, bien au contraire. Je pense qu’à sa place j’aurais sans doute gueulé comme un putois et il a vraiment été très courageux.
Par contre, quand je relis à froid les derniers mots du texte dans lesquels je souhaite à ton garçon « de devenir un jour un peu plus adulte que ses parent », je réalise honteusement que cette phrase est effectivement inacceptable car elle porte un jugement moral totalement gratuit que je n’ai aucun droit de formuler. Il est parfaitement compréhensible que toi et tes proches en aient été indignés et je n’ai que de plates et misérables excuses à offrir pour cette sortie qui n’aurait jamais dû figurer là car elle dévie complètement du but visé. Peut-être était-ce encore l’effet du choc, en tout cas cela ne l’excuse en rien et la prochaine je relirais encore 10 fois de plus avant d’appuyer sur « Envoyer ».
Pour finir ce long message, et pour que cette histoire serve peut-être à quelque chose, je souhaite te faire deux propositions :
1- Que l’on publie mon texte initial, ainsi que ta réponse et nos autres échanges éventuels sur le forum du Chant du Vario. Ainsi ta voix sera entendue. D’un côté je comprends la position de Noël Bertrand - et de toute façon il est libre de publier ce qu’il veut - mais de l’autre il me paraît légitime que tu puisses t’exprimer. Si tu ne veux pas apparaître personnellement je peux publier l’intégralité du texte sous mon nom. Dis-moi ce que tu en penses.
2- Si tu en es d’accord, je souhaiterais aussi passer te voir. Pas pour me faire absoudre évidemment, mais je pense qu’il est plus correct de se présenter et de dire ce qu’on a à dire en face plutôt que par magazine ou email interposé. Si tu penses que ça ne sert à rien ou que tu as d’autres chats à fouetter, je comprendrais parfaitement.
J’en ai enfin terminé, merci de m’avoir lu jusqu’ici et toutes mes pensées à toi et à ta famille.
Jean-Christophe SKIERA »