Stress & parapente

Salut,

Il y a quelques mois, il y avait eu un long fil sur le forum concernant la gestion du stress… Je ne suis pas sûr que c’était celui là, mais il m’avait permis d’étoffer un peu le boulot que je mène depuis quelques années sur ce sujet. Que les intervenants de ce fil en soient remerciés !

Quoi qu’il en soit, je profite d’une refonte de mon site web pour en faire la première page… C’est un peu long à lire, la mise en page est loin d’être aboutie, mais le rédactionnel est à peu près fini. Je vous la soumets, en espérant qu’elle vous sera utile.

http://rocherbleu.com/stress-et-parapente/

Bonne lecture

:pouce:

:pouce: :pouce:

Merci Gilles (et les autres), qui prenez du temps pour faire et partager ce genre de choses.

J’ai tout lu et je confirme, super texte :pouce: … j’ai quand même quelques commentaires à chaud sur des points qui à mon avis pourraient être un peu plus développés :

  • Auto-diminution : Dans le stress dû aux facteurs irrationnels, on voit souvent des élèves et des pilotes qui s’auto dévalorisent, qui ne sont pas conscient de ce qu’ils savent réellement faire. Par exemple, ils exécutent des gestes parfaits au décollage et pourtant “ne sentent pas les choses” et affalent une aile parfaitement gonflée au dessus de la tête. Ou encore ils se lancent dans une transition et quelques 10aines de secondes après, font 1/2 tour par ce que “ça va pas passer”. Ou encore ils entrent dans un thermique et se barrent dès qu’il y a du monde qui vient, par ce qu’ils “gênent, ou ne sont pas à leur place”…
    As-tu trouvé des pistes à tu des commentaires à ajouter à ton doc pour pour aider les pilotes en question à avancer sur ce point?

  • Mentalisation : tu fais plusieurs fois référence à la mentalisation du geste parfait… Il me semble que dans certains cas et peut-être plus particulièrement dans le cas des pilotes ci-dessus, la perfection peut être source de stress. Je pense que partout où il y a la notion de perfection il peut être pas mal de moduler la nécessité du geste parfait… Après ce point est peut être délicat, car si on ne cherche plus la perfection, est ce que ça laisse pas la place au laisser aller?.. Parler d’une perfection accessible peut-être?.. Mais dans ce cas là c’est quoi la perfection accessible? :smiley:

  • Secours : dans cette partie là tu parles du secours parachute et quand on s’est mis aux arbres, mais peut être que tu pourrais aborder le secours à autrui, qui est aussi parfois très générateur de stress. Étonnamment certains gèrent plus facilement leur détresse que celle des autres. Donner des conseils sur les bons gestes, bien intervenir/faire intervenir, quand les pros sont là leur laisser prendre la main tout en restant dispo pour aider et ne pas laisser son stress polluer l’opération de secours.

  • Euphorie : donner des indices pour savoir détecter l’alerte, pour se rendre compte qu’on est en période euphorique, de façon a ne pas avoir besoin d’un “gros évènement” pour s’en rendre compte. J’ai en tête l’exemple d’un stagiaire (dans le même stage que moi) qui était très euphorique et qui a eu comme gros évènement un “paf falaise” au bout de peu de temps de pratique après ses stages… Peut-être que tu aurais des commentaires à ajouter pour aider à détecter cette période.

  • Entraînement : je trouve que tu pourrais parler plus de l’entrainement comme facteur de diminution du stress. Tu en parles pour l’acquisition des automatismes qui donnent plus de temps cerveau disponible, mais l’entrainement peut aussi aider à augmenter la vitesse du processeur :smiley: et surtout aider à apprivoiser le stress. L’irrationnel via l’accoutumance et le rationnel via la progression technique.

  • Checkpoints d’auto évaluation : je pense qu’une bonne façon de lutter contre le stress c’est de se faire des checkpoints. Les checkpoints peuvent aider de deux façon pour le stress… La première c’est la technique des petits pas, diviser l’ascension de l’énorme montagne dont le sommet est si difficile à atteindre en une multitude de petits pas facilement réalisables. En vol ça consiste à se faire un plan de vol et se dire, pour le moment je vais jusqu’à Château Nardent pour tester la masse d’air, puis une fois validé, je vais jusqu’au St Eynard pour voir si ça monte bien, puis une fois le plaf fait, le Rachais permettra de voir s’il y a de la brise, puis… Bref, ne pas penser le tour de Grenoble dans sa totalité, mais le découper en petites étapes faciles à réaliser et unitaires… Si ça fait on passe à l’étape suivante, si ça fait pas on rentre ou on pose… La globalité peut être trop importante.
    Les checkpoints peuvent aussi être utiles d’une autre façon, pour l’auto évaluation du stress ça donne un « regard extérieur » d’evaluation pouvant redescendre le stress ou dire qu’on est justement trop stressé. Genre je vais voler après avoir évalué les conditions depuis le sol et un checkpoint peut être le nombre de fermetures/oreilles (houlà ça ferme quand même pas mal, je réévalue si je suis dans la bonne zone de stress et que je ne suis pas en euphorie)… Un pilote a fermé fort à coté de moi et à fait 4 tours d’autorot (houlà stress à 10000, checkpoint sur le ressenti perso… Ça a l’air bien pour moi, j’ai pas eu une seule fermeture, je réévalue à la baisse ce stress extérieur)… Il est possible de placer plein de points de contrôle déclenchant des auto analyses pour savoir si on est ou pas au “bon niveau” de stress… C’est pas forcément des choses que les élèves font initialement.

Voilà… Dsl c’était un peu long.

:pouce:

Dans les facteurs extérieurs qui influent beaucoup c’est le stress des autres et pour cela inciter les pilotes à s’isoler dans l’attente avant un décollage.

Merci pour ta lecture et ton retour. Ça va sans doute enrichir mon doc…

L’auto-diminution va mener les pilotes à se placer en zone de confort, donc faire diminuer leur stress, ce qui est plutôt bon (dans le sens de mon doc). Lutter contre, c’est aller vers un but de performance, ce qui n’est pas l’objet de cette réflexion…

Je ne l’avais pas envisagé dans ce sens, mais ta réflexion est intéressante. Peut-être faut-il changer la sémantique à ce niveau.

Oui, mais ne met pas le pilote en danger dans son vol, si ?

Oui, c’est le sens de la conclusion telle que l’écrivait déjà Catherine Schmider en 1995. Impossible pour un tiers de transmettre à un pilote qu’il est en sur-confiance ou en euphorie… Si tu as des pistes pour une auto-évaluation sur ces 2 points, je suis super preneur…

OK, je pensais que c’était plus évident. Je vais corriger ça.

Oui, bonne idée d’ajouter ça, surtout que je demande ça à mes stagiaires de cross.

Encore merci pour ce retour :trinq:

Selon moi, la solution doit être individualisée. Pour certains, s’isoler va amener plus de stress. Pour d’autres, ce sera une bonne solution.

Individualiser c’est toujours mieux, je pensais plutôt à isoler certains pilotes de ceux qui expriment leur stress ‘hou la la’, ‘mais il est fou’, ‘c’est n’importe quoi de décoller maintenant’, 'ça va pas le faire ’ , ‘il a eu chaud’ etc …

Rien n’est plus complexe que la compréhension des mécanismes psychologiques, qui diffèrent d’un sujet à l’autre et pour un même sujet d’une circonstance à l’autre.
Il y a tant de facteurs que tenter de décrire tout ça ressemble à un rocher de Sisyphe, et tenter une synthèse me semble complètement utopique.

A mon sens, moi qui officie beaucoup sur les décos pour mettre les voiles en place, au meilleur endroit et dans la meilleure position, il semble que la phase du décollage est le premier générateur de stress. J’ai souvent aidé des pilotes débutants lors de leurs premiers décollages, en bavardant avec eux et en les faisant rigoler, l’idée étant de faire passer le mauvais stress qui paralyse et conduit à la peur, pour passer au bon stress qui stimule et conduit au plaisir de voler.

Quand je courais en moto, j’avais toujours une grande sérénité sur la grille de départ et dès que le drapeau s’abaissait j’étais en action. Beaucoup de pilotes étaient terriblement stressés et leur premiers tours de roues étaient un peu brouillons, j’en ai vu beaucoup se mettre par terre au premier freinage.

Jeune alpiniste, j’étais toujours en proie au “mal des rimayes”, un stress banal qui augmente au fur et à mesure qu’on approche de l’attaque d’une grande voie, et qui disparaît miraculeusement une fois en action. Beaucoup peuvent mettent un but à cause du mal des rimayes et il m’a fallu du temps pour comprendre ce mécanisme psychologique, c’est après avoir mis un but moi-même (au Dolent) que la lumière se fit.

Mes débuts en parapente bénéficièrent de l’expérience que j’avais de la gestion du stress et le rappel fut saignant : erreurs techniques en cascade => accident => invalidité => longue période de souffrance sans voler => reprise avec un mauvais stress paralysant => un but idiot => retour en école.

Gérer son stress n’est pas simple, gérer celui des autres est très compliqué.

Dans le précédent fil, je faisais état de la méthode de Caro, monitrice aux Grands Espaces, insufflant aux stagiaires l’idée-force de faire de chaque décollage un RITUEL.
C’est extrêmement efficace et j’ai adopté sa méthode, toutes les actions depuis la sortie de la voile de son sac jusqu’au décollage étant effectuées suivant un ordre immuable, avec tous les contrôles. Cela a généré chez moi un stress au moment de me mettre dans la sellette, qui disparaît quand j’engage la phase du gonflage.
Mentalement, je suis alors déjà en vol, totalement concentrée sur les sensations données par la voile, les éléments, l’aérologie, les autres.

Lors de tous mes stages SIV, j’ai ressenti du stress au déco, qui passait immédiatement au moment de décoller, et quand j’arrivais dans le “box” c’était comme sur une grille de départ en compète moto : j’étais prête à entrer dans la danse.

Je ne sais pas si beaucoup de pilotes amateurs fonctionnent ainsi. Chez moi, c’est le fruit de toute une vie de pratique des sports “extrêmes” et c’est probablement aussi le cas de la plupart des professionnels.
Je comprends très bien que beaucoup de moniteurs laissent tomber l’enseignement, générateur de stress, pour faire du biplace beaucoup plus banal en n’étant plus responsable que de soi-même.
Quand un pilote peu aguerri me sollicite en me demandant s’il peut “y aller”, je lui dis que je n’ai pas le droit de lui donner ce genre d’information mais que je lui hurlerai immédiatement STOP si cela ne se passe pas bien.
C’est ce que nous faisons tous sur les décos quand un pilote merde et risque de se mettre au tas si on ne l’arrête pas.

Je trouve excellent de lancer un site sur la gestion du stress en parapente et le sujet est si complexe que j’admire l’énergie qui anime celui qui se lance dans cette entreprise et ceux qui vont y contribuer. Si je peux donner un coup de main, ce sera avec plaisir.
:trinq:

excellent Gilles, merci. karma+

j’ai rajouté ta page à ma veille sécurité :
http://sco.lt/5k0BTk

Ben je n’ai clairement l’experience que tu as, mais la mienne me dit autre chose. En fait ce que j’en ai vu c’est que souvent ils essayent de faire la même chose (certes moins poussé que quelqu’un qui est en sur-confiance), mais ça ne les renvoie pas en zone de confort. Pour moi ils évoluent dans la même zone que les autres (poussé par des facteurs extérieurs certainement), mais avec un niveau de stress du coup beaucoup plus important, qui souvent les pousse à l’erreur et clairement réduit la clairvoyance quand ils en ont besoin. Ça se voit bcp au décollage, mais je sais que c’est aussi présent en vol.

Meme si la situation en vol n’etait pas l’idée première de ma remarque, ça peut… Mauvaises décisions prises en vol pour éviter la zone hélico, pour poser en urgence en terrain hostile pour aller aider et risquer le sur accident… Mais c’est une source possible de sur-accident si le non accidenté prend des risques pour aider et qu’il est trop stressé pour le faire.

Je reviendrais en parler ici si j’ai des idées…

en tous cas un grand merci pour le travail ainsi qu’à CHOUCAS pour parapente360
ton analyse, miroir de ma réalité !
retour pente école dès que possible !

très bon document à lire et à relire pour une analyse individuelle.

karma+

Salut Gilles,

Merci pour ce papier qui permet à chacun d’entre nous de mieux analyser notre ressenti en l’air et donne des pistes pour mieux prendre en compte ce facteur mental dans la gestion de nos vols… Comme souvent, on en revient au « Connais-toi toi-même » de Socrate pour pouvoir mieux apprenhender et gérer les effets négatifs de son stress.

Pour les principaux destinataires de ton article, les pros qui doivent gérer non seulement leur stress propre mais aussi celui de leurs élèves par la seule magie d’une voix apaisante en communication radio, j’ai trouvé l’exemple du pilote anglais particulièrement saisissant pour illustrer la variété des réponses émotionnelles auxquelles vous pouvez être confrontés.

Dans l’ensemble, même si tu trouves que la formation des Pros pêche sur les facteurs mentaux, j’ai eu l’impression sur la bonne douzaine que j’ai croisés dans l’exercice de leurs fonctions que cette approche différenciée de gestion du stress par élève était plutôt un point fort de tes confrères, avec des discours individualisés et adaptés suivant les profils de pilotes alors même que les cours sont collectifs. Et ce, depuis le briefing (et le débriefing) en faisant appel aux images et aux sensations pour certains et en adoptant un discours plus cartésien pour d’autres, jusqu’au guidage radio en adaptant intonation et fréquence des instructions suivant les pilotes et en proposant des programmes de vols assez personnalisés (autant qu’il est possible dans les contraintes collectives imparties).

Enfin, pour en revenir au cœur de ton sujet, je voulais juste rappeler que le stress (comme la douleur) est une composante psychologique essentielle pour assurer notre survie. Le cerveau mobilise ses ressources et celle de l’organisme pour réagir aux dangers perçus (qu’ils soient réels ou non) :

  • augmentation du rythme cardiaque pour une meilleure irrigation du cerveau et une meilleure réactivité musculaire.
  • décharges hormonales pour accroître temporairement la réactivité et la vigilance.

Outre le risque d’effet tunnel (focalisation sur une toute petite partie de facteurs de risques) ou de paralysie (saturation du cerveau par les signaux d’alarme), il me semble que le plus grand facteur d’accident est la décompensation (j’ignore si le terme est exact).

Une fois le danger perçu comme imminent traité, le cerveau et l’organisme se relâchent pour compenser cette phase de surrégime, ignorant les nouveaux facteurs de risques qui peuvent apparaître à ce moment-là (syndrome de l’approche ratée après une grosse chaleur).

Cette perte temporaire de vigilance (de lucidité) doit être prise en compte dans notre gestion « post stress » (pilotes et pros).

Encore merci pour l’article, :pouce:

FK.

Sur-confiance : waouh tout me réussi aujourd’hui, je fais des trucs de fou et je suis trop bon!!
Euphorie : waouh tout me réussi aujourd’hui, je fais des trucs de fou, je suis trop bon alors je vais tenter plus gros puisqu’il ne peut rien m’arriver.

[edit] je suis pas trop loin du truc on dirait : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Excès_de_confiance_(psychologie)

J’ajoute au pot commun les quelques pages de mon livre consacrées à la gestion du stress.
https://drive.google.com/file/d/1b628vByDGaxSsqoQWdYvEnLxssiITkBI/view?usp=sharing

commentaires/améliorations/critiques bienvenues!

Merci pour cet article. Pour moi, il y a une différence entre le stress et la peur. Le stress est positif, la peur négative. J’ai toujours un peu de stress sur un nouveau déco ou si les informations factuelles sont différentes (conditions plus fortes, pilotes qui ont du mal à gonfler, nombre de voiles en l’air) de celles dont on a l’habitude. Mais il peut y avoir le stress de rater le bon thermique (en voyant les autres déjà au plaf), le stress de ne pas être prêt pour des km ou de se demander quand ça va se passer à tel passage délicat, à tel endroit. Le stress de ne pas “réussir” ce qui a été prévu la veille. Par contre la peur de l’altitude, de la proximité du relief, ça c’est clairement pour moi handicapant et étant passé plusieurs fois par ces périodes de doutes et donc de peur (le manque de confiance en soi, sa voile, ses capacités d’analyse ou techniques), il m’a fallu repartir de zéro avec des objectifs divers (ça c’est chacun qui voit midi à sa porte). Il y a deux ans, j’avais peur avec l’Artik dès que ça bougeait en altitude, je m’en suis éloigné ET j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes. Partir de zéro avec la M6. On m’a dit que c’était taré et contradictoire. Pas pour moi, car je marche au défi et j’avais un objectif, une carotte, et j’ai refait comme au début : gonflage, pente école, petits vols, soaring, thermiques avec cette nouvelle voile exigeante. Ca a marché. la peur a disparu et je n’ai qu’une hâte, monter plus haut que les potes et vers les nuages. Ca m’a libéré. Mais ce fut dur de s’apercevoir que la peur pouvait rendre les vols détestables.

karma+