Cet été, alors que Chrigel s'évadait de Salzbourg en direction de Monaco à vitesse grand V poursuivi par une meute de chasseurs aux abois de toutes origines, d'autres se livraient eux aussi à une traversée complète de l'arc alpin en parapente. Mais contrairement aux vedettes du grand show produit et réalisé par Red Bull, pas question pour eux d'assistance au sol pour le ravitaillement, le choix des routes et les options météo. Et encore moins d'hélicoptères pour prendre des images et de live tracking pour que tous ce que le web compte de geek puisse les suivre en directe jour et nuit.
La performance n'en est que plus grande, et l'autonomie la plus complète que se sont ici imposés nos voyageurs des sommets et des airs, ne peux que susciter le plus total respect. Ils font ainsi passer les célèbre Maurer, Girard, Latour et autre Coconea pour un groupe de touristes grabataires du 3ème âge en voyage organisé. :canape:
Ceux-ci n'ont jamais eu besoin de transporter dans leurs sacs et en vol trois semaines de ravitaillement, leurs effets personnels, le matériel de couchage et de camping... Et lorsqu'en plus, à l'aventure sportive hors norme se conjugue un extraordinaire défi humain et une superbe histoire d'amour, alors, la X-Alps ne peut que faire bien pale figure en comparaison. :jump:
L'histoire commence il y a presque 10 ans : Piotr, un jeune bucheron originaire de Sibérie orientale émigré au Kazakhstan, grand amateur d'haltérophilie et de danse classique, était tombé un jour, par pur hasard, sur une revue sportive Slovène abandonnée dans la salle d'attente de la gare d'Astana. Alors qu'il feuillette négligemment la publication, admirant les images couchées sur le papier glacé dont il ne comprend pas les légendes, il tombe sur la photographie d'une jeune lanceuse de marteau en plein effort lors d'une compétition internationale.
Sur ce cliché pris au cœur de l'action, alors que la sportive totalement concentrée effectue sa dernière rotation à pleine vitesse, est totalement arcboutée pour résister à la force centrifuge qu'elle impulse au marteau, [b]elle sourit.[/b] :shock: Tandis que toutes les photos de la revue ne sont que visages en sueur grimaçants et martyrisés par la violence des efforts, cette jeune athlète qui porte le maillot de l'équipe nationale de Slovénie affiche un visage souriant et un regard à la fois doux et profond qui semble transpercer l'objectif du photographe pour venir se planter tout droit dans celui de Piotr. :koi: Cette compétitrice semble rayonner et Piotr est aussitôt illuminé : c'est la première fois de sa vie qu'il se sent empli de tant d'émotions, aussi fortes qu'inconnues et contradictoires à la vue d'une femme. De ce que notre bucheron parvient à comprendre de l'article qui accompagne l'image, et surtout selon les inscriptions brodées sur son maillot, il semble quelle s'appelle Adidas. :grat:
Dès lors et sans autre piste que cette photo et sa légende, il n'aura de cesse que retrouver cette femme qui vient d'embraser son cœur, où qu'elle soit dans le monde afin de lui déclarer sa flamme. Pour ce faire, il commence par consulter en vain les marchands de journaux du quartier afin de savoir où il pourrait contacter l'auteur du texte. Il faudra plusieurs jours avant qu'on lui fasse remarquer que s'agissant d'une revue étrangère... l'auteur devrait sans doute être étranger, mais de quel pays ?... Même la calligraphie est différente du russe et du kazakh qu'il ne maîtrise déjà que modestement.
Le salut lui vient d'un turc de passage qui lui certifie que le drapeau imprimé sur le maillot de l'athlète est bien celui de Slovénie, ce qu'un employé du consulat de Serbie lui confirme.
Sans plus attendre, Piotr prit aussitôt la route pour retrouver la trace de sa belle en Slovénie. :rando: Ce qui est un peu idiot de sa part, il faut bien en convenir, parce que s'il avait eu la patience d'attendre un peu, l'Occident Expresss quittait la gare d'Astana le soir même sur les coups de 20h30 pour atteindre Maribor et Ljubljana moins de quatre jours plus tard. Et tout cela dans le plus grand confort et sans la moindre correspondance ! Tandis que par la route et en UAZ d'occase, Samara, Volgograd, Kiev, c'est déjà pas moins de 3 semaines, 2 carburateurs et 1 joint de culasse. Ensuite il faut encore poursuivre en Lada stop vers Timisoara et Zagreb, et là, comptez pas moins de 3 à 4 attaques de Roms, 2 distributions à refaire sur le bord de la route, une demi douzaine de crevaison, 7 contrôles de police (dont 2 nuits au poste), 8 barrages militaires et 23 non définis plus tard... ce qui nous fait, si je ne me suis pas trompé dans mes comptes,... en tout 8 bonnes semaines de galères complètes. :bang: Mais qu'importe les difficultés à surmonter, rien ni personne ne peuvent arrêter Piotr qui, porté par l'amour, n'a de cesse d'avancer.
On est début avril lorsqu'il parvient enfin à Maribor, sans le moindre sous dans un pays dont il ne connait ni la langue, ni personne.
Avisant à la devanture d'un marchand de journaux un exemplaire de la revue qui a publié le portrait de sa dulcinée, il s'en saisi pour demander au commerçant ou il peut en trouver l'auteur. Aussitôt le vendeur lui réclame, d'abord poliment, le prix du périodique, avant de s'énerver, face à Piotr qui ne comprend rien et ne veut pas lâcher le journal. L'échange entre le solide Bucheron et le modeste pourvoyeur en feuilles de choux dégénère, et bientôt la Police doit intervenir.
Au poste les officiers sont bien embarrassés face à ce costaud qui s'exprime dans une langue inconnue et envoi voler tous les représentants de la force publique qui tentent de lui arracher des mains l'exemplaire froissé de La Gazette des Sports Slovène du 15/11/2002. :grat: Un officier plus brillant que la moyenne, c'est à dire celui dont la plaque de métal sur le ceinturon est mieux lustrée et moins rouillées que les autres, tentant en vain de lui faire décliner son identité et adresse, remarque l'attachement de Piotr à la revue plus qu'à toute autre chose. Il n'a de cesse de montrer en page 2 le sommaire et les coordonnées de l'éditeur.
Le fin limier - parce qu'en Slovénie même les policiers doivent exercer un second métier pour pouvoir nourrir leurs familles, alors du coup celui-ci est aussi limier à mi-temps dans une manufacture de limes - en déduit donc que cet étrange étranger doit certainement se nommer Playboy & SportMag Editions et habiter à Boite Postale 12156 Ljubljana - Slovenia.
Par chance, un numéro de téléphone figure aussi sur la revue. Du coup, l'autorité policière, toujours pleine de judicieuse initiatives en pareil cas, appel et tombe sur le pigiste de permanence à la rédaction du journal. Celui-ci, fort de la description faites par les policiers du prisonnier, décrète qu'il doit s'agir de l'un des membres de l'équipe Russe d'athlétisme actuellement dans le pays à l'occasion des championnats d'Europe, et qu'il doit certainement demander l'asile politique.
Dans la mesure ou il s'agirait là de la toute première demande d'asile d'un sportif de haut niveau dans le pays depuis celle de Merlene Ottey, les fonctionnaires changent radicalement de comportement pour devenir plus affables. Quelques minutes plus tard le téléphone sonne, c'est à nouveau le pigiste. Il vient de contacter le journaliste qui a réalisé la photo parue le 15/11/2002. Il s'agissait d'un meeting international d'athlétisme tenu à Munich en préparation des actuels championnats d'Europe. Le week-end avait été pourrit : pas un seul record et un brouillard à couper au couteau, on y voyait pas à dix mètre. Le seul cliché exploitable avait été celui de cette inconnue. Elle avait due remplacé au pied levé une athlète de la sélection slovène qui, comme la presque totalité de ses camarades, venait d'être convaincue de dopage par les instances sportives. La fille avait été éliminée dès le premier tour. Mais, elle avait eu "la chance" d'être au centre de la seule et unique trouée dans le brouillard ayant permis le passage d'un bien pâle rayon de soleil durant quelques secondes à peine au moment de sa prestation. Le raison de son visage illuminé, et du coup, la seule et unique photo potable prise durant tout le week-end. :roll:
En fouillant les archives du journal et celles plus secrètes de la Fédération Slovène d'Athlétisme et de la Recherche Biomédicale sur les Anabolisants Réunies que, le zélé pigiste a même réussi à retrouver son nom et son adresse : Anita Slovovics, et elle habite ici même, à Maribor. A tout hasard, on la fit aussitôt venir. Celle-ci à l'évidence ne connaissait pas l'étranger. En revanche, elle avait fait Russe en première langue de bois au collège politique du parti, et parvint donc à échanger quelques mots avec lui à la demande des policiers. A mesure que Piotr racontait son histoire tout en dévorant Anita des yeux, celle-ci, qui n'avait jamais imaginé auparavant qu'un homme puisse traverser plusieurs pays rien que pour elle, succombait, à son tour aux charmes de ce grand costaud. Quelques semaines plus tard, Anita et Piotr étaient mariés et installés dans les Alpes Juliennes. :trinq:
Là, ils pourraient tous les deux exercer ensemble en pleine nature, et à plaisir, la noble et vigoureuse profession de bucheron.
C'est par un bel après midi, alors qu'ils faisaient comme à l'accoutumé une petite sieste crapuleuse au milieu d'une clairière défrichée par leurs soins le matin même, rêvant aux enfants qu'elle n'aurait jamais, faute aux injections d'hormones et d'EPO lorsqu'elle faisait de la compétition, et à la mer qu'ils iraient voir ensemble un jour, lorsqu'ils seraient devenus assez riches pour se payer une auto, que leur attention fut attirée par les cris d'un aigle.
Le grand oiseau au plumage orange et blanc décrivait des cercles au dessus d'eux en descendant. A l'extrémité de ses longues et fines pattes, fermement maintenu entre ses serres, une proie encore vivante gesticulait. A mesure que l'immense rapace aux couleurs chatoyantes descendait, on entendait mieux les hurlements de sa proie. C'était un homme ! Il leur disait de fuir, qu'il allait se poser ! Et effectivement quelques secondes plus tard, à peine l'homme avait-il touché le sol qu'il se libéra prestement des griffes de l'animal et s'enfuit à toutes jambes se réfugier à l'abri du sous-bois. Au moment même l'homme était parvenu à commencer à se défaire de l'étreinte du rapace, l'aigle géant parut se dégonfler instantanément comme un ballon de baudruche, gisant maintenant tristement au sol comme le drapeau d'une armée vaincue sur un champs de bataille après la défaite. :(
Anita et Piotr, tout en finissant de se rhabiller, continuaient de fixer la dépouille du volatile exsangue tout juste traversée de quelques frissons, ne comprenant rien à ce qu'ils venaient de voir. Ce ne fut que quelques minutes plus tard, après que le fuyard soit revenu dans la clairière d'un pas lent et soulagé que tout allait s'éclairer.
L'homme qui avait recouvré son calme scruta quelques instants le ciel, les bras largement ouverts face à la brise et à la vallée, puis se tournant vers les amoureux déclara que c'était trop fort et mal orienté pour repartir de suite. Il tira l'aigle de tissus par les pattes, en fit une boule et s'assied à coté dans l'herbe. Puis, s'adressant de nouveau à eux il commença à raconter :
Il s'appelait Simon, Simon Copi et était en vol depuis plus de deux heures lorsque qu'un trouble digestif violent l'avait contraint à venir se poser ici en urgence pour se soulager. Il avait décollé en fin de matinée d'une montagne dans l'est, à environ 70 km d'ici et, si les conditions météo le permettaient, il comptait bien se poser ce soir du coté de Trieste. Pour Anita et Piotr cela demeurait toujours aussi incompréhensible, mais comme l'homme semblait maintenant avoir retrouver ses esprits, ils se hasardèrent à quelques questions sur l'aigle, et comment il l'avait enlevé. Simon expliqua alors qu'il ne s'agissait pas d'un rapace, mais bien d'une machine faite de tissus, dont il se servait pour voler par delà les montagnes et les plaines, porté par les vents et la brise chaude qui montait de la vallée. Il s'entrainait pour une épreuve à laquelle il espérait bien participer un jour. Elle devrait se dérouler pour la première fois l'été suivant. Il lui faudrait traverser l'Autriche, la Suisse et la France pour rejoindre la Méditerranée uniquement en volant et marchant. Comme les deux bucherons semblaient incrédules, :grat: Simon leur fit toucher le parapente, la sellette dont il leur expliqua le fonctionnement en détail.
L'après midi avançait tandis qu'Anita et Piotr questionnaient encore Simon, mais le vent ne semblait toujours pas vouloir baisser.
Alors que le soleil baissait sur l'horizon, le couple enjoint le pilote à se joindre à eux pour passer la nuit à l'abri et partager une soupe d'orties dans leur modeste demeure. Jusque très tard Simon répondit à toutes les interrogations de ses hôtes.
Le lendemain matin, sitôt de petit déjeuné avalé, tous trois montèrent sur la crête qui surplombait la maison. Simon fit quelques démonstrations de gonflage et pilotage au sol. Puis, lorsque le soleil eu enfin bien réchauffé l'alpage, il décollât, fit quelques tours au dessus d'Anita et Piotr pour les saluer en prenant de l'altitude, et disparu en quelques minutes, la bas, loin vers l'Ouest au dessus des montagnes. :coucou: :rando:
Ils restaient tous deux ici sur la crête, mais les yeux brillants de bonheur rivés vers le ciel et l'horizon. Ils savaient maintenant. C'est comme cela qu'il partiraient un jour tous les deux ensemble, sous un grand parapente multicolore. Ils iraient par delà les montagnes jusqu'à la mer.
.… la suite bientôt… 



