Il y a eu aussi ici un lien pointant vers la vidéo d’Alain Finet et Antoine Desvallées, en 2012, qui étaient partis de Champex, avaient passé le col Ferret puis le col de Peuterey et le col Eccles avant de retrouver l’itinéraire “classique” sur l’arête du Brouillard. Posés au sommet, ils avaient redécollé pour prendre l’itinéraire autorisé, suivi toute la chaîne des Aiguilles Rouges, passé le col de Balme puis le col des Ecandies pour rentrer à Champex.
Cette combinaison du tour du Mont Blanc avec posé au sommet n’est plus possible du fait de l’interdiction de vol sur le versant italien de la chaîne.
Stéphane Boulenger l’avait faite en novembre au départ de Pavillon mais sans poser au sommet, évidemment. Un vol extrêmement engagé quand l’activité thermique varie de très faible à nulle.
Alain Finet, alpiniste très expérimenté, était des 7 qui avaient réussi le vol en août 2003, c’est un pilote exceptionnel. Antoine est moniteur aux Passagers du Vent et il a fait pas mal de compètes de marche & vol, il n’est nul besoin de présenter Stéphane Boulenger qui nous enchante depuis longtemps avec des vidéos magnifiques.
Le vol du Mont Blanc a l’air presque facile quand on visionne les vidéos mais il ne faut pas s’y fier : le vol se situe en milieu extrêmement hostile, en grattant des reliefs très hostiles, en étant exposé en permanence à des pièges aérologiques vicieux. C’est sans doute le plus beau vol d’Europe mais c’est aussi probablement le plus dangereux.
Même quand on est très fort, c’est toujours l’imprévu qui arrive et être très fort ne suffit pas, il faut aussi avoir de la chance et des conditions parfaites. Dans un cadre aussi splendide, quand tout va bien, il faut sans cesse être prêt à enrayer un vrac énorme et c’est pour ça que je pense qu’il faut une voile pas trop exigeante, donc de classe C.
En 2012, il y a eu pas mal de Diamir au sommet et actuellement la voile la plus adaptée me semble être l’extraordinaire Diamir 2.
Quand j’ai pris l’air à Planpraz, le 4 juillet 2015, c’était pour faire une reconnaissance, pour voir, selon l’adage qui dit que consulter la carte d’un restaurant n’oblige pas à y contracter une indigestion. Je n’avais pas le fantasme de tenter le sommet parce que je me savais d’un niveau insuffisant pour maîtriser tous les paramètres de ce vol.
Le vrac dans un +7,4 sur une demi-aile, qui engendra une furieuse amorce de vrille aussitôt enrayée, aurait pu être un +10 fatal 2000m plus haut ou avec une voile moins parfaite que la Diamir ou plus pointue, par exemple une M6 ou une IP6 (que je ne serais pas capable de piloter sans me chier dessus).
Il ne faut pas rigoler avec le Mont Blanc.
Lors de son tour du monde en solitaire, Alain Colas avait eu du mal à passer le cap Horn, tout encalminé ! Cela n’arrive jamais, il y a en général une houle puissante et un vent furieux, mais ce jour-là c’était calme plat.
Le vol du Mont Blanc s’apparente au passage du cap Horn pour les navigateurs, après “l’océan de misère” qu’est l’Océan Indien : Alain Colas évoquait des surfs hallucinants sur des vagues énormes avec des creux de 20m, avec un vent à écailler les poissons. Seuls se risquent sur ces mers-là les meilleurs entre les meilleurs, avec des bateaux méticuleusement construits et préparés, et ce n’est jamais une partie de plaisir, il n’y a aucun droit à l’erreur.
A 25 ans, je voulais vraiment faire la voie Major au Mont Blanc, j’avais tout ce qu’il fallait pour ça (technique, expérience, endurance, vitesse et sang-froid) mais il me manquait un compagnon de cordée au niveau. J’en avais parlé à Claude Deck et ce fut le but à la Sentinelle Rouge. Ce jour-là, Deck me donna une leçon que son expérience lui avait apprise : on ne part pas au Mont Blanc sans emporter une tente de paroi pour pouvoir s’abriter en cas de mauvais temps, et la carte au 1/25 000e préparée avec route tracée et angles de marche relevés, la boussole et l’altimètre, pour trouver le sommet et redescendre à Vallot.
Il m’avait raconté qu’il avait sorti la Major dans le gros mauvais temps après deux bivouacs dans une rimaye, trouvé le sommet grâce aux “trous jaunes” laissés par les mecs qui pissent, et trouvé deux Anglais morts gelés, abrités du vent… par le refuge Vallot qu’ils n’avaient pas vu dans la tempête.
Le Mont Blanc par grand beau temps c’est merveilleux, dès que le temps se gâte cela devient un enfer et par mauvais temps le pronostic vital est fortement engagé, même les meilleurs alpinistes peuvent y laisser la vie.
Avec le parapente, on peut s’imaginer avoir un moyen de fuite rapide et ce serait une erreur de le croire, le vent ne permettant plus de décoller ni d’ailleurs de voler.
L’éthique actuelle consiste à survoler le sommet, sortir les pieds du cocon pour toucher mais ne pas se poser et continuer le vol. On est alors en altitude depuis un bout de temps et il est temps de redescendre pour éviter des troubles physiologiques, ceux qui se posèrent en 2012 s’en souviennent.
Le plouf du Mont Blanc, c’est 45 minutes avec une mini-voile de 18-19m². Avec une grande voile de cross, c’est une bonne heure de vol et il faut aussi y penser, les conditions ayant le temps de changer… et le vent de vallée à Chamonix peut devenir redoutable l’après-midi.
On ne rigole pas avec le Mont Blanc.
