Je ne mets pas une pièce dans le jukebox, je ne cache rien (comme à mon habitude). En une phrase, 819ème vol, et je dois tirer le secours. cette fois-ci, je n’ai pas hésité car au-dessus du relief et sans visibilité pris dans un nuage et parce que la situation devenait problématique (pour moi). Comment j’en suis arrivé là ?(copier-coller de ma page Facebook) :
Après le vol du vendredi débriefé par Nicolas Rovira (où je n’avais pas réussi à faire la transition car parti trop bas de Varan), il était clair que c’était la stratégie qui m’avait fait défaut : le plaf, le plaf, le plaf… avant de cheminer ou transiter, les marqueurs étant visibles : les nuages… Je suis donc parti animé d’intentions louables, le couteau entre les dents. C’est peut-être ma dernière chance de l’été de chevaucher les Aravis…4 tentatives précédentes infructueuses. Le plaf, les nuages, je n’ai vu que ça
Le vol n’a pas débuté dans la facilité notamment au-dessus de Plaine Joux et du plateau d’Assy. Ne pas partir, ne pas partir mais attendre et aller aux nuages. Heureusement Clémence Devilliers et Antoine Fanin étaient devant et montraient la voie. Patience et cheminer petit à petit, aller aux nuages dès que possible. Le but de ce cross et de l’été fut enfin atteint quand j’ai regardé le Carrefour de Sallanches à 2500 m d’altitude.
Vue sur les Aravis pendant la transition :
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Une laisse de chien m’a permis de survoler l’altiport et après ne ne fut qu’une question de travail dans une combe sous le vent et au vent, où il fallait gagner mètre après mètre pour remonter sur la chaîne. Et puis à force WAOUH, au-dessus de la chaîne des Aravis, enfin ! un grand moment jubilatoire, presque extatique
un but atteint, un paysage grandiose et tant de fois rêvé ! Direction le mont Charvin (que je n’atteindrai pas car avec les nuages sur ma droite, je ne me suis pas aperçu que je n’étais qu’à la hauteur de la Clusaz (sur la trace), un petit goût d’inachevé. Mais voyant une vallée, en bas, je me dis, c’est bon, je fais demi-tour direction Chamonix par le même chemin.
Pointe percée, quelques nuages encore, et puis transition au-dessus de Sallanches à 2700 pour raccrocher à Varan à 1900.
Et une photo des nuages vers lesquels je me dirigeais (secteur Varan, tête du Colonney au fond) :
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Je cherche sur les faces sud à gagner de la hauteur, petit à petit. Je contourne le relief et me retrouve au-dessus du plateau d’Assy; là j’applique la même stratégie que sur les Aravis, je reste bord de nuages avec le ciel bleu au-dessus de Passy sur ma droite; quelques petits tours pour enrouler le début d’un thermique et là, HORREUR c’était comme si une main géante me propulsait vers le haut, je suis aspiré dans le nuage et me retrouve instantanément sans repère visuel. j’ai juste le temps de regarder le cap et me dit, il faut que je tienne entre l’est et le sud pour rejoindre la vallée de Passy et le bleu; mais autour de moi tout est gris, ça bipe fort, en instantané je vois entre 6 et 8 mais surtout aucune direction, aucun repère visuel, la voile bouge dans tous les sens, le compas fait des tours entiers entre Nord, Sud, Est, Ouest… c’est étourdissant, je ne sais plus où je suis, et ne peux stabiliser la voile dans une direction. Plus de repère visuel, plus de repère d’orientation. Le haut, le bas…Je me dis que je vais taper le relief si je fais des 360 donc vaut mieux que je laisse gagner de la hauteur. et être au-dessus du relief. 3600, 3800. Ca monte sans arrêt et ça tournoie dans tous les sens. La voile fait une première abattée monstrueuse car je la vois sous moi, je relève les mains. Et attends, début d’autorotation, je contre, je pense. A ce moment là c’est la survie qui importe plus que tout. Je m’entends crier, hurler “Mon Dieu, mon Dieu, je ne veux pas mourir maintenant”. Ca se stabilise et puis quelques instants plus tard, le givre commence à recouvrir mes lunettes, froid aux mains instantané malgré les gants, je me dis 4000m, je ne suis pas déjà au Mont Blanc quand même;deuxième abattée, deuxième autorotation, la voile face planète et ça tire, ça tire, deux tours je crois et je me dis que je ne vais pas tenir avec la centrifugation, je vais m’écraser au sol à vitesse V. Je ne veux pas mourir comme ça maintenant, seul dans ce nuage gris, fou sans issue. “Mon Dieu, je ne veux pas mourir maintenant” J’ai de la hauteur, j’aurais pu impacter. Je ne sais pas où je suis. Tant pis, je décide de tirer le secours … et là quelques secondes plus tard, je suis sorti de l’ascendance, je suis avec du ciel bleu autour et des forêts. Je vois la vision rassurante de Sallanches et je dérive. Je tente de ramener la voile qui est en effet miroir. Elle flotte gracieusement , paisiblement. Trop dur d’affaler la voile, alors j’essaie de me diriger en jouant sur les commandes.Je pense pouvoir atterrir tant bien que mal dans un grand champ mais je sais que le secours ne peut être dirigé. Ah si j’avais des ciseaux pour couper le secours. la voile, vole bien elle. Puis je rentre dans une mini vallée, un petit canyon et là l’effet venturi me pousse vers le fond de ce canyon. J’espère pouvoir atterrir dans les arbres mais trop bas, ce sera la falaise. Je sors de la sellette et me prépare à l’impact. J’ai toujours les commandes de la voile en main et là elle réussit à amortir le choc avec la falaise derrière moi. Je tombe sur une vire, le secours flotte toujours et me tire en arrière et me fait dégringoler de quelques mètres. je regarde en dessous. Plus que deux vires et c’est la paroi verticale. je m’accroche désespérément à un bout de caillou, de rocher, mais rien n’y fait, je tire sur les suspentes du secours pour l’affaler mais il flotte toujours. J’essaie d’enrouler une suspente ou deux sur un bout de rocher et là, le secours finit par s’affaler et me laisser tranquille.Ouf, c’était ça où le précipice, traîné par le secours… je suffoque, j’ai les larmes aux yeux. j’appelle le 112. Le PGHM arrive et suis héliporté et transporté à l’hôpital de Sallanches pour examens. Ce sont des hommes admirables, autant que les urgentistes qui me font la batterie d’électro cardiogrammes, d’auscultation etc…je suis fier de payer des impôts et de vivre dans un pays comme la France, c’est ce que je me dis sur ce lit. Quel beau pays quand même malgré le coût. Merci à Clémence de s’être proposée venir me chercher et puis un grand merci à Antoine qui est venu de Chamonix, m’a aidé à patienter et m’a finalement ramené à chamonix à ma voiture sous les trombes d’eau et la grêle alors que c’était sec à Sallanches… Il y a toujours des enseignements à tirer dans une (més)aventure comme celle-ci. le temps aidera à regagner la confiance si chèrement acquise depuis 5 semaines. je me suis trouvé au mauvais moment au mauvais endroit. Happé par ce thermique surpuissant qui m’a ôté toute visibilité et tout repère. Mais j’avais volé au bord des nuages tout le temps sans être happé. Peut-être que là j’ai insisté un peu trop, voulant gagner de l’altitude pour rejoindre Chamonix et la voiture. Je ne sais. Je ne referai pas l’histoire. Est-ce que ce beau vol malgré tout valait la peine de mourir ou de rester paralysé après impact ou chute sur la planète ? Clairement non. Est-ce que ça vaut la peine de voler ? Clairement oui. A moi de trouver l’équilibre entre loisir et engagement, entre vie unique et vie, entre “défi” et raison. Je sais que voler est une activité incroyable, que voler n’est pas anodin; que je ne pourrais me contenter de vols paisibles et contemplatifs, mais mourir ou rester handicapé pour un loisir, ce n’est pas un but en soi; ce serait stupide et bête, car la vie est belle. Je crois en Dieu, vous le savez. Cette année Il m’a sauvé deux fois déjà. Je pense qu’Il a autre chose à faire que de s’occuper de petits inconscients comme moi…même si j’avais gagné en sagesse ces derniers temps (je n’ai pas volé à Saint André les Alpes cet été pour des vols paisibles)… il faut que je réfléchisse. Nietzche disait que tout ce qui ne tuait pas rendait plus fort. Je commence à être très fort mais bon, pas nécessairement comme je le voudrais…un bon parapentiste est un vieux parapentiste et je veux devenir vieux lol (même si j’ai pris 10 ans hier). Je vous souhaite d’aussi beaux vols palpitants que les miens sans les dangers qui vont avec. Vive la rentrée universitaire lol. La trace du vol en 3D : http://doarama.com/view/923641
Vous pouvez y aller de bon coeur pour les critiques.