Je rebondis sur un post faisant état de ce que “savent” les mômes qui entrent en 6ème.
J’ai pendant des années animé une structure, au sein de mon bahut, visant à améliorer les capacités de lecture des enfants, dès l’entrée en 6ème, structure interdisciplinaire.
Je faisais la coordination et je donnais mes statistiques à la direction.
Je dois avouer que cela n’améliora que ceux qui étaient déjà des lecteurs, les autres… ben… la plupart continuaient à “lire” en suivant avec le doigt, voire avec une règle, et à ne pas comprendre ce qu’ils avaient lu.
Bref ils ne savaient pas lire.
Je faisais aussi exprès, quand j’écrivais un texte au tableau, de passer une manche de ma blouse sur les 3 ou 4 dernières lettres de chaque ligne. L’écrasante majorité des élèves, toutes classes confondues, devenaient incapables de comprendre le texte : ils n’anticipaient pas ce qui allait suivre chaque mot, bref leur “lecture” ne faisait pas sens, elle restait au niveau du déchiffrage.
Beaucoup étaient incapables de comprendre un mot quand une lettre n’était pas parfaitement dessinée - de leur point de vue - ce qui dénotait une absence d’anticipation donc de perception du sens.
Dans de telles conditions, ces braves mômes n’avaient aucune chance de comprendre un texte simple comme l’énoncé d’un exercice de géométrie, encore moins de rédiger un raisonnement, la dissertation ne leur était pas accessible, ils avaient peu de chances de faire des études. Ils loupaient largement le brevet en fin de 3ème mais curieusement (quand on ne connaît pas le système) ils finissaient par décrocher un bac.
Cherchez l’erreur.
Dans ma jeunesse, les examens étaient encore sélectifs et le bac était l’examen d’entrée dans l’enseignement supérieur, les statistiques montraient un taux de réussite allant de 60 à 65%, et cela chez des jeunes qui avaient été “triés” soigneusement lors de chaque palier de leur scolarité.
Maintenant il n’y a plus de “tri”, n’importe quel branque aux 3/4 illettré va avoir son bac.
Quand mon père était au lycée, son prof de maths était devenu célèbre pour avoir collé zéro au bac à une copie de maths bourrée de fautes d’orthographe et de syntaxe, l’argument étant que quand on écrit comme un cochon on n’est pas digne d’entrer dans l’enseignement supérieur.
C’était peut-être un peu excessif en 1942, à une époque où il suffisait de 5 fautes dans une dictée pour avoir zéro (ce qui resta le cas dans toute ma scolarité - bac en 1965 à 16ans 1/2).
Maintenant il faut 20 fautes pour avoir zéro et corriger de telles copies doit être une punition atroce.
Il y a 65% d’une tranche d’âge qui réussit au brevet et 80% au bac.
Cherchez l’erreur.
En réalité, les notes sont “harmonisées”, c’est à dire revues à la hausse pour atteindre le sacro-saint 80% de réussite. C’est comme ça que ma fille a eu 19 en philo au bac - série technique STL - elle en rigole encore 20ans après. En réalité elle avait dû avoir 12 parce que c’était une excellente lectrice qui écrivait très bien et la plupart des autres, ceux qui ne savaient ni bien lire ni écrire, devaient avoir eu entre 3 et 7.
Avec des notes normales sur des sujets normaux, le taux de réussite descendrait à 25%. C’était le pourcentage d’une classe d’âge qui arrivait au niveau bac, avec les divers “tris” effectués en amont. On ne peut pas dire que le niveau global des jeunes Français ait progressé et si on compare avec les Finlandais, les Allemands, les Polonais ou les Espagnols, nous sommes parmi les derniers en Europe.
Mais nous sommes les premiers pour le taux de réussite.
J’ai la gerbe de devoir porter une telle honte.
Parmi les intervenants de ce forum qui écrivent comme des (censuré), combien de “bacheliers” ? Au moins ils sont capables d’écrire, même si c’est parfois dans un sabir étrange ! D’autres n’écrivent pas du tout parce qu’ils ne sont pas à l’aise dans cet exercice, et quelques uns sont si à l’aise dans le maniement de notre belle langue française qu’ils écrivent facilement, développent et argumentent, se permettent quelques bigarrures de langage pour le plaisir des lecteurs.
On peut y voir de la pédanterie, de la cuistrerie, du l’orgueil, on peut y voir ce qu’on veut et on a grand tort : c’est l’amour de la langue qui nous fait écrire parce que nous savons écrire, comme l’amour de la musique guide l’archet du violoniste et les doigts du pianiste.
Et réciproquement.
(je viens de découvrir la “Cornet”, une Belge assez formidable)