Allez Laurent, encore un petit verre de la cuvée 2000 - encore une piquette - :bu: avant de reprendre la discussion - Parce que -paradoxalement- je suis totalement fana de voltige !
Ce qui ne m’empêchait pas d’être critique…
[i]De l’acro au potentiel structure = Réflexion sur la situation de la voltige parapente en 2000
C’est un dimanche comme les autres à l’atterrissage d’un site fréquenté : quelques dizaines de pilotes, leur entourage et autant de curieux célèbrent une journée ensoleillée.
Dans le ciel virevoltent les orbes élégantes d’une aile blanche. Elles font place peu à peu à un bolide tournoyant. Alternant renversements et virages engagés, le pilote d’un biplace chargé de sa passagère semble préparer un atterrissage en 360° au milieu des gens dispersés sur la prairie. Mais l’aile se redresse à moins d’une dizaine de mètres du sol, part en ressource pour finir par poser un peu durement son équipage à moins de vingt mètres de la foule…un ange passe. Les regards, brièvement attirés, se détournent et les conversations reprennent : scène ordinaire d’un après midi d’automne.
Sur l’accident qui n’a pas eu lieu, il n’y aura pas de colonnes dans les pages régionales du lundi : pas de questions sur ses raisons, les conditions de vol ce dimanche sur ce site, le niveau de qualification du pilote, les règlements libéraux, l’information succincte, la législation mollement appliquée, le rôle de la police, « imaginez, ma brave dame, cela aurait pu être votre fille ! », etc. Chacun pourra conclure d’une réflexion sur la fatalité et s’interroger sur cette minorité d’individus qui passent leur temps libre à jouer avec leur peau.
Mais de fatalité, il n’y a avait point. C’était simplement un acte dangereux. : il a mis en péril des individus sans qu’il y ait la possibilité de mettre en œuvre une quelconque mesure de sauvegarde en cas de problème.
Ce peut être le mode de pratique d’un base-jumper expert qui saute en sachant qu’il n’a pas le temps de déployer sa réserve. Il s’en remet à sa concentration au pliage, lors de la préparation de son saut et à la stabilité de tous les paramètres qu’il a pu analyser. Il sait malgré tout qu’il peut impacter pour un détail, car cela est arrivé aux meilleurs, comme Patrick de Gayardon à Hawaii. C’est un choix délibéré, libre et respectable dans son engagement individuel. Mais quand cet acte hypothèque la santé d’une tierce personne, passager ou spectateur, la tolérance n’est plus de mise.
Et pourtant, celui qui écrit ces lignes fait partie des mordus du dépassement des limites, de la sortie du domaine de vol, de la tête en bas et des pieds au ciel, de ces fractions de seconde d’apesanteur où la terre entière semble être le reflet de soi ! Alors, pourquoi ?
Ce n’est pas en quelques mots que l’on peut aborder le problème posé par la prise délibérée d’un risque. Notre comportement y révèle des aspects de notre inconscient et de notre perception de nous-mêmes.
Dans une société sécurisée à outrance, la définition même du risque est floue. Le risque individuel est occulté (tabac, alcool). Le risque collectif est dramatisé (problèmes de santé publique, cancer, sida, insécurité). Dans tous les cas, l’individu est déresponsabilisé. Sa sauvegarde est la mission de la société. Elle est perçue comme un dû. L’être social doit concentrer son énergie à plagier les modèles que la société lui propose comme symboles de réussite. Argent, pouvoir, esthétique renvoient à l’individu une image rassurante de lui-même au travers du regard envieux des autres. Mais ses propres limites restent floues. Il les identifie à la maladie, aux revers de fortune, aux revers affectifs, à la malchance, aux fléaux communs. Tout va très vite, dans les succès comme dans les échecs. Il vit à l’image des automobilistes fonçant dans le brouillard. Ils foncent parce qu’ils sont sur une autoroute, et que ceux qui les entourent foncent aussi. Ils foncent parce qu’ils paient pour avoir le droit de rouler plus vite, pour rejoindre plus rapidement leur lieu de travail ou leur famille. Ils foncent pour gagner du temps sur celui qu’ils ont perdu à adapter leur rythme de vie à celui que leur impose la société.
Alors, dans sa bulle de confort sur roulettes, l’automobiliste a depuis longtemps perdu la conscience de ce qu’est la vitesse. Il a oublié la masse de ce qu’il commande, occulté l’énergie qui peut déchirer la matière qui l’entoure et broyer ses propres chairs. Mais dès que les feux de la voiture qui les précède s’estompent, la peur le gagne. Sans points de repère, il va naturellement se rapprocher des glissières, ces limites qu’on lui propose comme celles de sa sécurité, sans plus aucun souvenir de leurs justifications. Il va s’écraser aux pieds de celles-ci, témoignages rassurant de l’ordre établi, communiant d’une incompréhension totale avec ses semblables dans un enchevêtrement de tôles froissées.
Quel contraste avec l’homme volant ! Baignant dans un bien être aussi esthétique que narcissique, émerveillé par sa vision du monde, il témoigne d’un plaisir intense à confronter ses aptitudes à un environnement complexe : le ciel. Il progresse dans la maîtrise de lui-même en exerçant sa vigilance au contact d’un risque identifié et borné.
Mais si le risque est l’étalon, pour certains le danger est seul juge de leurs aptitudes. Cette motivation est peut être la plus fondamentale et la plus difficile à cerner et à gérer. Elle est présente en chacun de nous. Elle relève de l’attirance de l’homme pour l’inconnu, cet instinct qui en a fait un si redoutable parasite colonisateur pour notre planète. La prise de risque est l’expression de sa curiosité. Ce mode d’apprentissage est le contre poids efficace de l’instinct de survie. Ces deux aspects de la nature humaine constituent le moteur à deux temps du progrès : un temps qui avance, un temps qui pérennise les conditions d’un nouveau pas vers l’inconnu. Alors, quoi de plus naturel que de vouloir naviguer dans le ciel et d’explorer les limites mêmes de notre façon d’y voler ?
La mise en situation de dépassement du domaine de vol est devenue, en un peu plus d’un demi-siècle, indissociable de l’enseignement aéronautique. L’acrobatie est devenue la voltige sous l’impulsion des militaires qui ont constaté, les braves gens, que l’espérance de vie d’un pilote formé à cette école était meilleure que celle d’un pilote sortant d’un enseignement banalisé. L’équation nombre de pilotes perdus rapporté au coût de la formation a vite fait pencher la balance du côté de la voltige, malgré l’hostilité démontrée de beaucoup de théoriciens de l’époque.
Mais ce que l’enseignement de la voltige a mis le plus de temps à maîtriser a été le potentiel des structures des aéronefs. Faute de moyens de calcul adaptés et du manque de retour sur expérience, ce sont quatre générations de pilotes d’essai qui sont montés au front de l’exploration du domaine de vol de chaque appareil qui est sorti que quelque usine que ce soit pendant près d’un siècle. A l’issu de chaque guerre, des pilotes démobilisés les y ont rejoint. Ils ont gagné passionnément leur vie en accomplissant des prouesses aériennes avec les avions de réforme, payant un lourd tribu aux dieux du cirque : le salaire de leur marginalité revendiquée, orphelins de l’excitation de la guerre.
Ces manifestations aériennes ont aussi fait émerger la notion de plancher de sécurité, en dessous duquel il y a danger de ne pas avoir le temps de s’extraire de l’avion devenu incontrôlable, par erreur de pilotage ou rupture structurale par phénomène de fatigue, pour ouvrir un parachute.
Le vol libre en est encore là. Un peu partout dans le monde touché par ce sport, des besogneux ou des enthousiastes continuent à sortir les tripes de leurs engins, au risque de tomber du ciel, sous un parachute ou bien sous rien du tout, parce qu’ils ne voient pas plus belle façon de vivre que de vivre leur passion !
Aussi est-il temps de cesser la politique de l’autruche. Fédérations et constructeurs travaillent activement à faire avancer la connaissance des comportements structuraux. Ils doivent mieux communiquer sur leurs résultats. Il est temps que l’on parle d’enseignement de la voltige en définissant des niveaux et des objectifs aux pilotes qui sont désireux de progresser dans la connaissance de leur sport.
Les motivations des pilotes qui participent à un stage de résolution d’incidents de vol en sont un parfait exemple. La probabilité de tels incidents n’est pas négligeable pour ceux qui participent à ces stages. Des situations dangereuses, préalablement identifiées, sont décrites, analysées et commentées. Pour représenter celles ci, il est proposé des situations provoquées qui simulent les causes réelles. Les stagiaires peuvent alors s’exercer à leur résolution dans un cadre sécurisé. L’apprentissage y est facilité par la sécurité, relative, recherchée dans le choix du site, qui favorise la décontraction de l’élève, et l’encadrement qui apporte une analyse externe, compétente et synthétique, de son comportement et de celui de son matériel.
Aussi est il temps d’émettre un autre son de cloche face à la langue de bois des constructeurs qui revendiquent des résultats édifiants aux tests d’homologation tout en mettant en garde les utilisateurs contre toute velléité d’exploration du domaine de vol. Car il n’est plus temps de leur jeter la pierre : ils sont happés par le droit anglo-saxon et ses dérives juridiques (la responsabilité sans faute !). Leur seul recours, comme le nôtre, est d’affirmer haut et fort que nous acceptons en parfaite connaissance de cause de pratiquer un sport à risques. Nous l’aimons parce qu’il est comme tel et que cela correspond à un aspect de la vie que nous identifions à la liberté, comme l’expression même d’un comportement qui a fait progresser l’humanité !
Si nous continuons dans la voie du vol aseptisé, avec des voiles qui ne communiquent plus sur ce quelles font, nous allons former une génération de pilotes à l’école des préservatifs, élevés dans le dogme de la sécurité absolue, de l’aile standard et de la protection dorsale miracle, volant le nez sur leur console de jeux embarquée, avant de renoncer à voler tout court. Ces pilotes peuvent tuer le vol libre, dans l’esprit qu’encore suffisamment d’entre nous avons connu, prêts à auto mutiler leurs libertés par crainte de l’inconnu et de l’ingérence du politique.
Enseignants et fédérations, attelez-vous à une tâche visionnaire : forgez les outils d’un enseignement de haut niveau et communiquez sur celui ci. La demande est forte. Elle peut générer un marché supérieur au cadre strict des stages de résolution d’incidents de vol, bien plus sain pour l’avenir que celui de la multiplication des ailes biplaces utilisées hors enseignement. Les constructeurs suivront et nous proposeront enfin des ailes adaptées à la voltige. Il nous faudra alors apprendre à les gérer comme de véritables aéronefs, avec des aptitudes, des niveaux de pratique et un potentiel structure…Et réinventer encore une fois l’aéronautique !
C’est un quitte ou double. Le vol libre explose sur un carcan normalisateur calqué sur le législateur ou il se ressource en jetant les fondements d’une culture aéronautique qui ne demande qu’à s’écrire !
La prise de risque est l’expression d’une liberté qui a la chance de pouvoir exister. Trop de gens meurent sans avoir vécu. Certains ignorent même que l’homme a des ailes. D’autres naissent condamnés à vivre enchaînés, attendant patiemment la fin d’une existence qui les fera renaître dans une vie meilleure, dans la croyance assénée et rabâchée que tel est l’ordre des choses. Alors, amis voltigeurs soyez prudents et conscients de votre chance, pour faire durer le plaisir de bien belles années de vol encore libre…pour quelques temps !
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