Alors voilà, on s’épuise un peu en arguties.
Les parties en présence ont exposé leurs vues assez exhaustivement.
A partir de là, ça peut durer des années sans vraiment rien dire de plus.
Parcequ’en fait il s’agit de se positionner non pas en fonction de données objectives mais plutôt de son être profond.
Car vous allez voir que la distance entre les gens n’est pas géographique ou temporelle, elle est essentiellement sociale, culturelle et économique…
Quelques messages de “prospective” ainsi que les considérations de Piment sur le fait de couper du bois m’ont donné envie de raconter ce qui va suivre et qui en étonnera peut-être certains.
Mais je pense que ce genre de témoignage est utile à la réflexion des nouveaux habitants de cette planète qui sont tellement coupés du travail manuel (si on considère que pianoter sur un clavier n’est pas “manuel”) et tellement préoccupés de leur Iphone…
Quand j’étais tout gamin, mes parents faisaient eux-mêmes leur bois.
A la main.
Ils partaient chaque année en hiver sur un bout de forêt pour couper le bois qui nous serait nécessaire durant toute l’année suivante. Ils emmenaient avec eux un lardon de quelques années, moi-même, car il n’y avait pas de maternelle et que de toute manière il était de tradition familliale de s’occuper à temps plein des enfants jusqu’au CP.
Bien évidemment pour un gosse de quatre ans ce sont des expériences marquantes qui laissent de drôles de souvenirs, en forme de flashes puissants pour les images, accompagnés du murmure des bois et des conversations. Et les odeurs ! Il suffit encore de certaines pour m’envahir totalement et me replonger dans ce monde de calme et d’efforts. Comment dire ces odeurs de fougères sèches dans les rayons poussiéreux d’un soleil oblique, l’odeur de la terre humide retournée par l’arbre dans sa chute, la senteur de poudre du bois des branches brisées…
Les sons aussi. Son clair, net, imperturbable, mat et métallique à la fois, une sorte de flute à percussion, de la hache qui frappe le tronc. Son de la scie qui revient si facilement en écho. Son du passe-partout, plus aigu. Et le gémissement déchirant de l’arbre qui se fend sous les coins… Au moment du repos, un tel silence soudain !
Je revois mon père attaquer un arbre à la hache pour y faire une encoche en biais de bonne taille destinée à guider sa chute. Puis ils se placent avec ma mère de part et d’autre du tronc, assis, pour commencer le va et vient du passe-partout. A chaque aller-retour je regarde la lame progresser de quelques centimètres à peine. C’est le rythme du travail à la main, surtout pas de précipitation, trouver la bonne cadence pour ne pas forcer, mais tenir, tenir, tenir. Et s’accorder à l’autre. Il me semble que cela dure de toute éternité.
A un moment mon père interromp le mouvement et dit “Tiou !” en levant la main : il écoute le tronc… un craquement imperceptible… Alors avec ma mère ils me font partir à l’écart, loin, hors de tout danger possible “Et ne bouge pas tant qu’on ne t’a pas dit de revenir !” ; et il faudrait être vraiment complètement stupide, même à quatre ans pour ne pas obéir.
Ils se réinstallent et en deux allers-retours supplémentaires du passe-partout l’arbre commence à s’abattre, ce qui même de loin me faisait toujours peine. Un fracas de branches brisées, souvent un dernier sursaut de côté de l’arbre qui pivote et c’en est fini. Quelques secondes où le temps s’arrête. “Tu peux revenir”.
Après il faut ébrancher, à la hache et à la scie. Débiter le tronc en billes, au passe-partout à nouveau. Fendre les billes à la masse et aux coins. Scier à 50 les billes fendues. Puis finir de refendre à la hache.
Les morceaux de bois peuvent être rangés et je m’y colle aussi, même si petit, car quand on peut aider à son niveau on ne reste naturellement pas à rien faire. Ma mère dit avec fierté “Le peu qu’il fait, je n’ai pas à le faire…”
Sommairement couvert, le bois restera là à sécher sur place pendant au moins une année.
Du bois donc, parcequ’on faisait tout avec : cuisine et chauffage.
Parce que mon enfance je l’ai passée dans une “maison” sans chauffage. La seule pièce chauffée était la cuisine, il y avait une cuisinière à bois dans laquelle le feu brulait tout l’hiver.
Mais la maison n’avait absolument aucune isolation. Le plafond en planches disjointes donnait directement sur le grenier depuis lequel on voyait les trous dans le toit de tuiles ; on vidait régulièrement les pots placés sous les fuites qui se remplissaient quand il pleuvait.
L’hiver, l’huile figeait dans le placard de la cuisine malgré la cuisinière à bois allumée et l’humidité gelait sur les portes et les fenêtres même à l’intérieur.
Il y avait l’électricité pour l’éclairage mais c’était même pas du 220 volts. J’ai oublié le voltage de ce temps…
Il y avait un seul point d’eau, froide, dans la maison. On remplissait un réservoir intégré dans l’inestimable cuisinière à bois pour avoir un peu d’eau chaude en réserve.
Bien sûr, pas de salle de bains, pas de toilettes.
La misère.
J’en ai gardé une puissante horreur du froid et de l’humidité. Je ne veux pas mourir noyé en hiver…
Mais j’en ai gardé l’empreinte d’une enfance incroyablement heureuse ! Parce que le bonheur a peu à voir avec nos conditions matérielles d’existence.
En tout cas je viens de ce monde là et d’une manière ou d’une autre ça guide mes choix.
Et ces choses là sont tellement difficiles à expliquer. Tellement difficiles à faire ressentir à ceux qui ne les ont pas vécues. Et certains comportements de gens qui n’ont pas connu ce monde pénible et lumineux à la fois me sont tellement incompréhensibles maintenant que je conçois qu’ils puissent faire des choix qui me paraissent déraisonnables.
Sur la même planète existent des univers différents. Nous sommes parfois des aliens les uns pour les autres.
Mais comprenez que je me fiche pas mal personnellement de savoir si le nucléaire va pouvoir nous assurer une transition confortable.
Ce qui m’importe c’est de savoir si je serais encore fichu d’abattre un arbre correctement.
, l’Homme est passé du statut de chasseur-cueilleur à ce qu’il est actuellement, ça c’est pour le changement sur le temps long, mais il y a des changements qui se font plus rapidement et à un niveau individuel, pour des raisons personnelles (intérieures) et pour des raisons conjoncturelles et structurelles (extérieures). Des bouleversements extérieurs soudains peuvent entrainer des changements intérieurs rapides tout comme ils pourraient ne rien entrainer du tout…et tout l’intérêt est la, il n’y a ni destin, ni déterminisme absolu, et l’individualisme est une composante récente dans les comportements individuels sans pour autant être une composante active dans d’autres pays du monde.



Laquelle éolienne l’empêche de dormir la nuit ! :affraid:
et qu’il fait plein d’économies.
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