Coup d’oeil à la météo sur 4 ou 5 sites, visualisation de la balise de Bar sur Aube, c’est Est. C’est donc nickel. Coup de fil à deux potes. Et nous voilà arrivés au déco. Ca ronfle un peu, on sort le pique-nique. On va attendre un peu que ça se calme. Le soleil de septembre darde ses rayons hésitants et je décide alors d’étaler la voile prêtée par Marc Boyer en personne de l’école Soaring, rencontré à la Coupe Icare. Le matériau est soyeux, craquant, les finitions impeccables, les élévateurs si petits et si fins qu’on croirait qu’ils ne résisteront pas. Les suspentes sont non gainées et cela se voit au milieu de l’herbe et des fleurs. Qu’est-ce que cela va être. C’est le fouillis. Un petit coup de haut en bas et par miracle toutes les suspentes de la même couleur quasiment invisibles se démêlent. Qu’est-ce que ça change de la Hook 3 et de la Mojo. Tout est plus léger, plus aérien. La voile étalée sur l’herbe arbore un bord d’attaque de feu, à l’apparence solide avec sa petite proéminence. Je prends ma “vieille” sellette Kamasutra 2 et l’attache à cette nouvelle voile. Les copains s’apprêtent également mais je contemple le spectacle de ces mètres carrés de tissu répandus sur l’herbe verte. 12 mois auparavant, je me retrouvais avec quasiment ces mêmes personnes, mon brevet initial en poche et beaucoup d’appréhension au déco pentu de Bar sur Aube. Tellement de vols, de sensations, de plaisir ont passé depuis. beaucoup d’aventures narrées sur ce forum, beaucoup de conseils de prudence, de discussions mouvementées mais au final, je suis là avec l’essai de cette nouvelle voile. Qui l’aurait cru ? Est-ce aller trop vite ? est-ce brûler les étapes ? Telles sont les questions qui traversent mon esprit pendant que je vérifie les suspentes et fais la prévol aussi consciencieusement que d’habitude, plus même. Le coeur ne bat pas plus vite que d’habitude. Aucune anxiété, aucune précipitation dans les gestes. Prudence est mère de sûreté et j’ai promis à certains moniteurs de leur faire honneur, de ne pas me mettre dans des situations navrantes.
Le premier copain est prêt. Je ne le suis pas mentalement. Avec la Hook 3, je serais déjà en l’air; avec cette fusée, je préfère attendre un peu, surveiller un peu plus les cycles et partir au moment opportun. Je décide de partir 15 minutes plus tard. Ce n’est pas dans mon habitude mais je le sens ainsi. Quand la bouffe est bonne, je lève la voile prégonflée, elle me dépasse, je l’admire et ne temporise pas assez. Elle retombe. 1 minute plus tard, je la regonfle, elle se met au-dessus de la tête, je temporise bien plus cette fois-ci, je me retourne, elle est toujours là au-dessus de la tête, je jette un coup d’oeil circulaire aux manches à air, je fais un pas, lève un peu les mains, je décolle, pas assez de vitesse, je cours deux pas et hop je m’élève. Je vole. Petit virage à droite et je commence à faire du soaring sur la pente bien balayée par un vent bien axé de 15-23 km/h selon la balise. Je teste la garde. Houla que ça change ! 2-3 cms avant de sentir la tension et voir le bord de fuite se mettre en tension. Ca thermique un peu mais ce n’est pas haché. Ils sont étroits et assez faibles, entre 2 et 3 m/s. Je freine encore un peu trop la voile (la garde de la Hook était tellement plus longue), je la regarde voler, je décide d’éteindre le son du vario et de me fier aux sensations. la voile ne tire pas comme la Hook, elle prend le chemin du thermique, tout simplement ! Elle se glisse dans des petits trous de souris. L’effort à la commande pour tourner est quasi nul, le virage instinctif. Ca balance un peu en roulis, mais je me rappelle de faire corps avec la voile et de la laisser voler sans la contraindre. Elle est à la fois d’un bloc mais deux parties bien distinctes, la droite et la gauche de l’aile. Avec la Hook,il y avait une sorte d’appel vers le haut; avec cette voile, la voile s’engouffre, glisse. Il n’y a pas cette sensation de dureté indicatrice, non là c’est plutôt légèreté du genre “excusez-moi je me faufile”. Je sens que je la freine toujours trop, mais j’ai un peu peur que ça ferme. Petit à petit je me détends, je joue un peu de l’accélérateur et je regarde les vitesses GPS par vent de face et vent de cul. C’est impressionnant. Vent contre, elle mord ans la masse d’air et je le vois par rapport à la Mentor 3 au-dessous de moi. Elle pénètre, ne ralentit pas, communique la masse d’air avec précision mais aussi ce velouté inconnu. Elle est capable de tourner à plat à vitesse réduite et d’envoyer un gros virage avec la même aisance. Bluffant. 30 minutes plus tard, tout commence à s’éteindre et je file atterrir pour ne pas avoir à atterrir n’importe où. Face au vent, freinage léger, arrondi et cela pose en douceur.
Je découvre un potentiel incroyable.
Cela va se confirmer lors du deuxième vol de 38 minutes beaucoup moins thermique mais plus dans le vent de du soir qui a tourné nord/nord-est. Un dos voile tranquille, elle se lève avec douceur et vitesse, légère temporisation et me voilà propulsé avec douceur. Je file, je monte le long des arbres avec une précision incroyable. Je peux me mettre à la distance que je veux sans appréhension, et ça continue de monter dans la douceur du soir qui tombe. Je vais à des endroits que je n’avais jamais visité par vent du nord (au-dessus de la combe). Elle exploite les moindres ascendances, traverse à vitesse V les moindres descendances; je ne suis pas assez haut pour essayer des petits wings mais je varie le rayon des virages et profite du moment pour ressentir davantage la masse d’air qui tournoie laminairement. Un ballet avec le vent. De la danse au-dessus des arbres, des autres voiles. Je vois une Mentor en bas qui essaie de se maintenir, deux A qui vont poser car le vent contre se renforce et il n’est pas bien axé (Bar est plutôt Est). Je surfe en compagnie d’une Montana légèrement plus bas mais qui tient. A n’importe quel moment, je peux aller où les autres ne vont pas, aller et venir, perdre un eu d’altitude et remonter dans un mouchoir de poche, en serrant. Je commence à me faire à la garde réduite. Le plaisir de glisser est grandiose. Pas de contrainte de vitesse. On furète ici et là. Je ne vole plus, je me déplace dans un glissement harmonieux. Je ne ressens pas encore ces “tubes” aérologiques vécus à Targasonne, mais je ressens autre chose : de la plénitude. Je vogue au gré des humeurs et non plus contraint par le vent. 3 voiles vont se poser face au vent forcissant à 100m de l’atterro officiel et la Montana prend le même chemin. J’ai besoin de la navette, mais je regarde d’un oeil pendant que je profite le dernier d’avoir encore de la hauteur. Puis je me dirige vers l’atterro. Un petit coup d’accélérateur, elle file comme un rail. Aucune déperdition sensible de la finesse alors que la Hook aurait capitulé. Je passe par-dessus tout le monde et par-dessus l’atterro, je me positionne pour une PTS et deux virages plus tard je pose en douceur, sans bruit.
J’ai essayé une voile formidable, un plané de fou, un virage ultra-précis et modulable en petit serré ou en engagé, une vitesse incroyable face au vent et qui plus est sans accélérer. On sent les demi-ailes vivre mais sans faire craindre quoi que ce soit. On sent la voile à la fois compacte et vivante mais sereinement. C’est un glissé dans l’air que je n’avais jamais vécu, une sensation qui vous donne encore plus de liberté; visiter des coins inexplorés parce que je n’avais pas assez d’altitude auparavant dans ces mêmes conditions. Pouvoir étendre son rayon d’action sans danger et rentrer au bercail au mètre près sans se faire peur. Un régal absolu. je suis amoureux de cette nouvelle voile sage et performante, communicative et amortie. Au-delà de tous les commentaires précédents lus, ce qui compte est le plaisir, et là il est absolument exquis. Est-ce donner du lard à un cochon? je ne crois pas, plutôt de la confiture, celle qui vous réjouit ces matins chauds et prometteurs, ces matins et ces soirs qui sentent le bonheur de voler, de jouer avec le vent, de se confondre dans la masse d’air. c’est si bon, c’est si limpide et harmonieux. Je ne regrette pas de ne pas avoir eu le temps d’exploiter les capacités de ma Hook 3. Je ne regrette pas d’avoir essayé (et adopté) une arme terrible, une rolls du vol, un engin de pur plaisir. Une sorte de rosé pétillant et soyeux qui vous élève la tête dans les nuages et qui fait qu’en redescendant, la banane est là. Un vol simple, sans histoire, fait de glisse et de pur plaisir. Que c’était bon. Je ne la rendrai pas. Ce serait criminel.